Le pouvoir entier de l’Etat au Cameroun est actuellement confisqué par une seule personne qui a le loisir de gouverner si elle le désire selon ses caprices. Il est essentiel d’abolir cette caricature de démocratie qualifiée « d’apaisée », tout simplement parce que l’alternance y a été rendue impossible. Ceci passe inéluctablement par l’élaboration d’une nouvelle constitution, dont le statut du 16 avril 1957 peut servir de repère, car étant l’unique loi fondamentale élaborée librement par les Camerounais eux-mêmes. Cela devra être le plus grand chantier des patriotes et démocrates camerounais, après ce régime.
Le pouvoir au Cameroun actuellement est confisqué par une personne et une toute petite poignée d’hommes qui narguent insolemment le peuple. Ils organisent des « élections » aux résultats connus d’avance ; ils se servent des finances publiques pour se constituer de colossales fortunes tant au Cameroun qu’à l’étranger ; ils préparent leurs gosses à les remplacer au sommet de l’État, afin que ceux-ci, à leur tour, viennent continuer à vivre en écrasant le peuple. Et par-dessus tout, par l’action de cette classe politique ultra-conservatrice et en même temps féodale opposée à toute réforme en profondeur de la société, le Cameroun patauge dans les 4% de taux de croissance à peine, là où la Côte d’Ivoire qui sort de la guerre avoisine les 9%. Pour tout dire, malgré la grande mystification médiatique menée à coups de milliards de francs par le gouvernement, le pays avance à pas de tortue, il accuse du retard par rapport à d’autres aux potentialités bien moindres.
Cette situation interpelle vivement les Camerounais épris de progrès et de démocratie réelle, et leur commande d’entamer la réflexion sur notre pays demain, dès maintenant. Combien d’années restent-ils au pouvoir du Renouveau ? Pas beaucoup, en tout cas. Aussi, c’est dès à présent qu’il faut concevoir l’avenir, l’après Renouveau, pour ne pas être pris au dépourvu au cas où viendraient à se précipiter les événements. Cela est de la plus haute importance car il ne faudrait pas que le système de misère et de marginalisation actuel du peuple se perpétue.
Mais, tout projet d’avenir dans notre pays actuellement, pour un « grand bond en avant », pour reprendre une expression toute chinoise, devrait commencer par l’éclosion d’une classe politique nouvelle. Sans cette action première, point de rupture avec la sclérose actuelle. Le Cameroun continuera à être caractérisé par des arrestations aussi inattendues que spectaculaires de dignitaires du régime, suivies de leurs condamnations en série à des peines de dizaines d’années, et par une grande misère de la masse.
Classe politique nouvelle & conception nouvelle.
La démocratie camerounaise souffre d’au moins quatre grands maux. Le premier est le désir effréné des politiciens de tous bords, opposition comme majorité, de partager le pouvoir avec le tenant de celui-ci, et non sa conquête véritable. Ils passent ainsi le clair
de leur temps à émettre des signaux multiformes au Président de la République afin de se faire coopter dans son gouvernement. Ils ne se sentent guère capables, pour la plupart d’entre eux, de conquérir le pouvoir par eux-mêmes. Ils n’y songent tout simplement pas. Ces politiciens inaptes à développer une pensée politique originale, mais plutôt permanemment aux aguets, l’oreille continuellement plaquée à leurs récepteurs radio, en attente d’un poste de ministre, constituent un gros handicap pour notre pays. Ils sont ainsi tous de petits adulateurs craintifs et zélés du Président de la République. C’est à qui rédigera la motion de soutien à la fois la plus dithyrambique et la plus extravagante. D’autres écument les plateaux de télévision à longueur d’année pour se faire « découvrir » par lui. Cela est extrêmement navrant et ô combien misérable.
Le second grand malheur de notre démocratie est que la démocratie en elle-même n’est pas acceptée par la population. Notre peuple est demeuré essentiellement féodal dans son esprit. Il banalise les élections, leur substitue plutôt les désignations, le consensus, les ententes, les scrutins ne servant dans son entendement qu’à avaliser ce qu’il a décidé auparavant et dans l’ombre. Il préfère même carrément les nominations.
D’un autre côté, les Camerounais rejettent la compétence, lui opposent plutôt la région, la tribu, la communauté linguistique. Ils occultent d’autre part les différences sociales, et brandissent plutôt la cohésion ethnique. En clair, ils ne désirent véritablement pas la compétition individuelle. Ils se cramponnent à une compétition complexe qu’ils ne conçoivent uniquement que tribale et régionale. Un groupe ethnique doit succéder à un autre au pouvoir, dans un ministère, un service, une société d’État. Enfin, fait plus surprenant, une frange de la population s’attelle à créer ex-nihilo une nouvelle ethnie à partir de la langue anglaise pratiquée au Cameroun. Elle tente de former ainsi un bloc homogène face à une communauté francophone qu’elle considère comme étant dominatrice, hégémonique.
Le troisième grand malheur de notre démocratie, est que nos leaders politiques, toute tendance confondue, majorité comme opposition, sont, à de rares exceptions près, de grands tribalistes. A les écouter s’exprimer en privé on a la nausée. Le tout est habillé par cette trouvaille du Cameroun que sont les « élites ». Des regroupements où se cultive la différentiation et la concurrence ethniques, au nom du désir prétendument de développement de chaque contrée.
Le quatrième grand malheur de la démocratie camerounaise, est que nos leaders sont tous demeurés des villageois dans leurs têtes. Ils désirent tous se faire introniser chef de quelque degré que ce soit. Ils ne ratent pas une occasion à s’accoutrer bizarrement, au nom prétendument de la tradition. On les retrouve avec des peaux d’animaux au corps, des chasse-mouches à la main, pour faire « authentiques ». En fait, ils rejettent ce faisant, sans s’en rendre compte, la modernité. Et en conséquence, la démocratie. On n’élit pas un chef. Et un individu qui tombe en admiration devant les chefs de villages, ne peut pas, dans le même temps, envisager de quitter le pouvoir un jour, si jamais il venait à s’y retrouver. Sur ce plan, ils ne sont guère différents du Président de la République. Ils sont tous pour le pouvoir à vie, qu’ils soient de la majorité comme de l’opposition. Il n’est que de voir comment ceux de l’opposition sont déjà des présidents à vie des partis politiques qu’ils dirigent. Cela préfigure de la manière dont ils se comporteront demain à Etoudi si jamais ils y parvenaient.
Cette conception des choses bloque considérablement notre pays. Il faut la changer. Seuls des politiciens nouveaux seront en mesure de le faire. Il faut en conséquence s’atteler à l’éclosion de cette nouvelle race de leaders. C’est une action patriotique fondamentale. Il faut des politiciens qui feront évoluer le débat, de la région à la nation, et la compétition de l’interne et ethnique, à l’externe et internationale, et qui, caractéristique suprême, accepteront spontanément l’alternance au pouvoir. Ceux d’aujourd’hui, majorité comme opposition, ne sont guère, malheureusement dans l’écrasante majorité des cas, dans cet état d’esprit-là.
Abroger la constitution « dictaturigène ».
Afin que le pouvoir revienne réellement au citoyen camerounais, il y a une rupture fondamentale que la classe politique doit opérer, si tel est véritablement son désir. Elle porte sur l’abrogation pure et simple de la constitution actuelle du Cameroun, et l’adoption d’une nouvelle. Il ne sert à rien de mettre en place des scrutins irréprochables en matière de transparence, si dans le même temps, l’outil principal de la dictature dans notre pays qu’est la forme actuelle de notre constitution est toujours en vigueur. Il faut bien le comprendre, celle de 1996, qui régit le Cameroun à ce jour, tout comme les précédentes, est, pour paraphraser un terme médical, « dictaturigène ». Elle engendre la dictature. Placée entre les mains du plus grand démocrate de l’humanité, elle le transformera en peu de temps en un redoutable tyran.
Elle est tout simplement dans la continuité de celle de 1960, élaborée par les « Conseillers techniques français » du Président Ahidjo, en vérité ses patrons. Elle visait à concentrer la totalité du pouvoir entre ses seules mains, sans aucun contre-pouvoir au niveau national, afin de doter Paris d’un unique interlocuteur au Cameroun. Ainsi, en contrôlant le Président de la République, à travers l’ambassadeur de France en poste à Yaoundé, c’est tout le pays qui continuait à être sous la domination directe de l’Elysée, comme avant la proclamation de l’indépendance. En fait, Paris n’avait fait du président camerounais, comme du reste tous les autres d’Afrique francophone, rien d’autre qu’un gouverneur français, mais cette fois-ci indigène, c’est-à-dire à peau noire, au même titre que venaient de l’être Pierre Messmer, Roland Pré, André Soucadaux, ou Xavier Torré. La totalité du pouvoir étant concentrée entre ses seules mains, le citoyen camerounais en était totalement écarté. Les décisions capitales du pays se prenaient à Paris et étaient exécutées à Yaoundé, sans requérir son avis :
1/- la réunification en 1961 ;
2/- l’abolition en 1966 du semblant de démocratie qui avait existé de 1947 à cette année-là ;
3/- l’abolition du Fédéralisme en 1972 ;
4/- l’abolition du poste de Premier ministre la même année ;
5/- sa réinstauration en 1975 ;
6/- la décision d’en faire le « successeur constitutionnel » en 1979 afin d’écarter Tandeng Muna du pouvoir suprême ;
7/- et, finalement, la « démission » d’Ahmadou Ahidjo en 1982, dont étaient informés à l’époque, via l’ambassade de France, tous les Camerounais mariés à des Françaises, dès le mois de janvier 1982, ainsi que Paul Biya lui-même. Le 6 novembre, soit onze mois plus tard, il n’y a eu qu’une grande comédie, une monumentale mystification de plus du peuple.
L’indépendance de 1960, n’a été ainsi qu’un scandaleux vol de la lutte du peuple camerounais pour sa liberté. Celle-ci a été proclamée, mais totalement dénaturée par Paris, qui a replongé le Cameroun dans un régime de terreur à tous points semblable à celui qui régnait dans notre pays avant que nous ne devenions, à la faveur de la loi Lamine Gueye, des citoyens français le 7 mai 1946. Des centres de torture ont été rouverts, des « laissez-passer » pour aller d’une ville à l’autre ont été réinstaurés, des couvre-feux, des rafles, des bouclages de quartiers, voire de villes entières, etc.
Paul Biya au pouvoir en 1982, soit sept années avant l’écroulement du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, a connu le bonheur d’un relâchement involontaire de la pression politique française sur ses anciennes colonies, après 1990, Bruxelles et Washington ne voulant plus laisser les mains entièrement libres à Paris en Afrique noire. Progressivement, les dictateurs africains ont acquis une relative autonomie, au point de se mettre à faire du chantage à Paris, en agitant la « coopération » avec la Chine.
En 1996, en conséquence, le Président de la République a procédé à un réaménagement de la constitution de 1992, en sa faveur. Il y a reconduit la monarchie qui y prévalait, et s’est bien gardé d’y introduire quelque contre-pouvoir que ce soit. Il est de ce fait aujourd’hui un roi, tout simplement, au pouvoir, comme Louis XIV l’était en France. Son régime mériterait d’être qualifié ainsi de « monarchie républicaine tropicale ». La constitution est sa propriété privée, il en fait ce qu’il désire, la modifie au gré de ses humeurs et de ses intérêts.
Le Cameroun, quant à lui, sous son règne, est ainsi réellement une « République monarchique ». Quelle place occupe le citoyen dans une monarchie ? Aucune. Il est là pour acclamer le roi, c’est tout. Au Cameroun, ses applaudissements prennent la forme de « motions de soutiens », et les ministres sont les courtisans en chef du « Président de la République roi ».
Fort de ce statut, il ne consulte les citoyens camerounais en rien, dans toutes les décisions qu’il prend :
1/- élection présidentielle anticipée en 1984 ;
2/- abolition de la République Unie ;
3/- abolition et rétablissement du poste de Premier ministre ;
4/- diminution des salaires des fonctionnaires ;
5/- recours au FMI ;
6/- recours à la Cour Internationale de Justice pour le conflit de Bakassi ;
7/- présidentielle anticipée de 1992 ;
8/- passage du quinquennat au septennat ;
9/- abrogation de la limitation des mandats présidentiels ;
10/- déclaration de guerre à Boko Haram, etc.
Le citoyen n’est au courant de toutes ces décisions pourtant capitale pour son existence, que par voie de presse. Il est permanemment et systématiquement mis devant le fait accompli. C’est à Paris que le Président de la République est allé déclarer la guerre à Boko Haram, et non pas à Yaoundé, pas même à l’Assemblée Nationale devant les élus du peuple au nombre desquels les députés de son propre parti politique. Il ne s’est guère encombré de cette courtoisie totalement inutile et sans aucun intérêt à ses yeux.
Les Camerounais se plaignent du fait qu’il ne se tient guère de conseils de ministres dans notre pays. Mais, ces rencontres supposent un pouvoir partagé entre le Président de la République et ses ministres. Or dès lors que ces derniers ne détiennent aucun pouvoir et ne sont qu’un ramassis d’obligés à son service ― ses créatures politiques comme dirait l’autre ―, du reste transformés en adulateurs craintifs et zélés de sa personne, à quoi cela servirait-il ? En France, c’est en conseil des ministres que se décident par exemple les nominations des hauts fonctionnaires, directeurs de services, préfets, préfets de régions (gouverneurs), ambassadeurs, des dirigeants des entreprises publiques, Total, GDF, EDF, Air France, etc. C’est également en conseil des ministres que se débattent et s’adoptent les projets de lois à déposer au Parlement. Enfin, c’est en conseil des ministres que se prennent des décisions capitales comme par exemple la réforme de l’État, les modifications constitutionnelles, etc.
Au Cameroun, le pouvoir n’étant détenu que par un seul homme, le Président de la République, pourquoi celui-ci s’encombrerait-il de de telles rencontres périodiques et finalement ennuyeuses pour lui ? Il nomme les préfets, les gouverneurs, les ambassadeurs, les DG, les généraux, à sa guise, conformément à la constitution. Il le fait en toute légalité. Aucun article de la constitution ne l’oblige à consulter qui que ce soit pour cela. Un roi consulte-t-il ses laquais ? Il envoie en prison qui il veut, quand il veut, comme il veut, ordonne aux magistrats la durée des condamnations. Bref, c’est un souverain. Il n’a de compte à rendre à personne, au nom de la constitution.
Il faut en élaborer une nouvelle, afin que le citoyen redevienne au début, au milieu et à la fin du pouvoir. Le statut du Cameroun ― sorte de constitution interne au sein de l’Union Française ― du 16 avril 1957, élaboré par les élus de l’Assemblée Territoriale du 23 décembre 1956, l’avait placé ainsi. Il y détenait le pouvoir. Mais, dès 1958, cela a été aboli, et il ne l’a plus jamais détenu, jusqu’à ce jour …
Enoh Meyomesse – © Camer.be