C’est une jolie jeune fille au visage poupin et lumineux qui arpente le quartier de Moungali, en tête d’un cortège d’une trentaine de personnes. Il est 17 h 30, avenue de la Paix, le ciel s’obscurcit et les commerçants ouest-africains ferment déjà leurs échoppes. « Par prudence », glisse l’un d’entre eux.
La campagne s’est terminée vendredi 23 octobre à minuit. Si la vie a repris son cours dans une partie de la capitale, Brazzaville, le Congo reste sous tension, comme en apnée jusqu’à dimanche, jour du référendum sur la modification de la Constitution. La jeune fille, Marie, une lycéenne de 16 ans, n’a pas l’âge de voter, mais elle défile, danse et s’esclaffe avec ses amies, toutes vêtues d’un tee-shirt blanc griffé d’un « oui » à ce référendum voulu par le président Denis Sassou-Nguesso, au pouvoir depuis plus de trente ans, et qui pourrait lui permettre de briguer un troisième mandat. La lycéenne s’amuse de voir un Chinois porter le même tee-shirt qu’elle. « C’est bon pour les affaires et pour le pays », lance le boutiquier, qui se prête au jeu du selfie. Lorsqu’on interroge l’adolescente sur ses motivations, ce sont des adultes qui répondent : « Denis Sassou-Nguesso est l’homme de la paix, et avec ce référendum, il démontre qu’il est un démocrate qui consulte son peuple. » Marie fait la moue de celle qui ne comprend pas vraiment et esquisse un sourire gêné.
Partout dans le centre-ville aux avenues propres et goudronnées, des poignées de jeunes gens apparaissent, arborant le même vêtement en faveur du oui au référendum, psalmodiant des slogans à la gloire du président. Ce tee-shirt n’existe pas dans sa version « non ». Dans cet épicentre du pouvoir, ceux qui sont opposés à ce scrutin, sympathisants ou militants de l’opposition, sont contraints au silence ou à se fondre dans la masse.
« Les gens sont payés pour vanter le oui »
Pourtant, même dans cette partie privilégiée de la capitale, le désir de changement et d’alternance politique est présent. Il s’exprime à voix basse, toujours en « off », et se conjugue à la peur d’une insurrection nationale, aux souvenirs douloureux de la guerre civile et à l’incertitude d’un « après-Sassou » dans un pays où tous les chefs d’État ont eu à quitter le pouvoir dans la violence. Et ce depuis l’abbé Fulbert Youlou, le président en soutane emporté par une vague de manifestations en août 1963. Jusqu’à Pascal Lissouba, élu en 1992 et renversé par la force en 1997 par Denis Sassou-Nguesso avec le soutien de l’ancienne puissance coloniale, la France, et de la nouvelle puissance régionale, l’Angola.
« Je ne crois pas que les Congolais sautent de joie comme des cabris si le oui passe et que Sassou se maintient au pouvoir, mais les gens ont vraiment peur d’une alternance à la Lissouba », confie une source proche de la présidence. Et le pouvoir veut croire que ce sentiment de crainte est un atout. « L’opposition avait décidé de faire à Brazzaville en octobre 2015 comme au Burkina Faso en octobre 2014 [chute du président Blaise Compaoré, en poste depuis vingt-sept ans] mais nos deux pays n’ont rien à voir, note le porte-parole du gouvernement, Thierry Moungalla. Je pense que les Congolais sont effrayés par la rhétorique violente de l’opposition, qui ne répond pas à leurs attentes. »
Sur l’avenue de la Paix, le cortège de la jeune Marie continue son « carnaval », comme disent les Congolais. A l’autre bout de la rue, dans le quartier de Poto-Poto, Clément Olingue, 40 ans, dépose sa femme et ses trois enfants « à l’abri » chez un parent. Cet employé de l’opérateur téléphonique sud-africain MTN vit dans un quartier de Brazzaville en proie aux émeutes et aux affrontements avec les forces de l’ordre. « Mardi, des policiers et des miliciens en civil ont ouvert le feu sur des manifestants devant ma maison, et mon fils de 2 ans est traumatisé, explique-t-il. Ce qui me choque, c’est qu’ici, à Poto-Poto, les gens sont payés pour vanter le oui alors que chez moi, à Bacongo, Denis Sassou-Nguesso fait tirer sur des jeunes qui n’ont rien et ne réclament rien d’autre que la démocratie. »
Depuis mardi, Bacongo, quartier sud de Brazzaville, est encerclé par les forces de l’ordre. Quelques traces des affrontements y sont visibles, des barricades et des pneus brûlés, des postes de police incendiés. Les commerces restent fermés, et, selon les habitants, ceux qui l’ont pu ont quitté le quartier. Sur l’avenue Fulbert-Youlou défilent les véhicules des unités d’élite de la police, les quads et les blindés antiémeutes. Les contrôles sont incessants. Le décor contraste avec le centre-ville : des venelles de terre creusée par la pluie, des maisons indigentes et des coupures d’électricité. Les milliards de pétrodollars gérés entre autres par Denis Christel ou par Wilfried Sassou-Nguesso, respectivement fils et neveu du président, n’ont pas été dépensés dans les infrastructures des quartiers sud de Brazzaville. Les dépenses extravagantes de la famille au pouvoir, à Genève ou à Paris, où la justice enquête sur des détournements présumés de fonds public et des biens mal acquis, ne font que renforcer l’ire populaire.
Les opposants maintenus à résidence
Ici, tout le monde se dit opposé au référendum et à Denis Sassou-Nguesso, considéré comme un homme du Nord, un Mbochi dont l’hostilité aux Congolais du Sud se traduirait dans la géographie de Brazzaville. « Sassou est juste le président du nord de Brazzaville, ici comme dans les autres quartiers du Sud, on ne lui obéit pas », lâche une mère de famille qui cherche désespérément un commerce ouvert. « Cette ville cosmopolite a été volontairement divisée en deux par le pouvoir, qui a développé le Nord et méprisé le Sud, c’est une dangereuse politique ethnique qui se retrouve au niveau local et national », constate le colonel à la retraite Guy-Romain Kinfoussia, porte-parole du Front républicain pour le respect constitutionnel et l’alternance démocratique (Frocad).
L’homme fort de Bacongo est un ancien ministre devenu une figure de l’opposition : Guy Brice Parfait Kolelas. Impossible d’approcher sa villa, où il est maintenu à résidence par des militaires. « Je suis né dans ce climat de répression, c’est stressant et usant, mais nous ne lâcherons pas », explique-t-il par téléphone. Chez Christ, un bar populaire de Bacongo, des jeunes aux visages fermés sirotent des bières en regardant fixement les escouades de policiers sur le qui-vive. « Voilà le visage de la dictature. Denis Sassou-Nguesso est pire qu’Abdelaziz Bouteflika, Paul Biya et autres despotes africains. Voilà qui la France soutient, un vieux tyran qui nous tire dessus et lâche des gaz lacrymogènes dans les hôpitaux », fulmine l’un d’entre eux.
A Bacongo, comme dans tout le Congo, les déclarations de François Hollande, qui reconnaît à son homologue congolais « le droit de consulter son peuple » mais « condamne toute violence » ont été perçues comme une « trahison ». Alors, ces jeunes qui se sentent lâchés par la France se raccrochent à la position claire de Washington et discutent les consignes d’une opposition qui « appelle à la désobéissance civile et à perturber le vote en manifestant ». Jeune diplômé de 27 ans au chômage et membre de l’Upads, principal parti d’opposition, Prince Bignakoulou a déjà fait son choix : « On a été empêchés de manifester vendredi, on n’a pas réagi, mais on garde notre énergie pour descendre dans la rue dimanche. On est prêts. »
Par Joan Tilouine (envoyé spécial, Brazzaville) – LE MONDE
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Alain Mabanckou : “Le peuple congolais est pris en otage”
À deux jours du référendum qui doit permettre au président sortant de briguer un troisième mandat, le Congo semble profondément divisé. L’opposition parle de “coup d’État constitutionnel”, et des affrontements auraient déjà fait une vingtaine de morts.
Une situation insupportable pour l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot. Au micro de Claude Guibal, il se dit terrifié par la situation explosive au Congo-Brazzaville.
Mon rôle est de dire je ne veux plus de la guerre, je ne veux plus que le peuple congolais soit pris en otage. Je suis là pour servir de médiateur, je peux parler à gauche et à droite, je ne suis pas l’otage du gouvernement, ni de l’opposition. Ma préoccupation, c’est que chaque fois que le peuple congolais est menacé, je dois être devant, quitte à prendre les balles en premier.
Ma peur ce ne sont pas tant les violences qui peuvent être faites au peuple congolais, que le silence de ceux qui peuvent dire les choses et ne les disent pas. Le silence est un crime, et ce crime, je ne veux pas en faire partie.
Les Congolais sont appelés à se prononcer dimanche sur un projet de nouvelle Constitution. Ce dernier ferait sauter les derniers verrous empêchant le président Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat en 2016.
Mardi dernier, deux coalitions d’opposition ont tenté d’organiser des opérations de “désobéissance civile”, sur fond d’interdiction totale de rassemblement public. Les heurts entre forces de l’ordre et manifestants ont fait de quatre à 20 morts, selon les sources.
L’opposition a préféré annuler un autre grand rassemblement prévu vendredi, dernier jour de la campagne.
Par Claude Guibal, Radio France Inter