Au Cameroun, la campagne électorale débute le 22 septembre avec neuf candidats en lice, dont Paul Biya qui tient à rester à sa place de président après 36 ans de règne.
Sur les réseaux sociaux, les ethnies camerounaises expriment de plus en plus leurs différends par la voix de cyber-activistes plus ou moins connus.
Dans ces affrontements à caractère ethnocentrique et politique, la communauté francophone du Cameroun se montre moins préoccupée par la tragédie qui se déroule dans la partie anglophone du pays.
Un manque de solidarité envers les compatriotes anglophones
Cette situation est perçue comme un manque de solidarité des francophones vis-à-vis des anglophones. Willbroad Dze-Ngoua, professeur d’Histoire à l’université de Yaoundé I, lui-même anglophone, estime que les francophones profitent de la situation pour faire des affaires sur le dos des victimes anglophones.
Il dénonce par exemple la hausse des prix des transports pour les populations fuyant la guerre des régions anglophones vers les régions francophones, ainsi que la surenchère dans les établissements scolaires pour les enfants anglophones arrivés en zone francophone.
“La majorité des francophones s’en foutent. Il y a 118 villages au moins qu’on a brûlés. Il n’y a personne qui vit dans ces villages. On est en train de violer les femmes. C’est la troisième année que les enfants ne vont pas à l’école, la majorité du peuple camerounais s’en fout. Or, les Camerounais devraient montrer un degré de solidarité. Le francophone moyen pense que ces gens-là ne sont pas des Camerounais.”
Pour ce professeur d’Histoire, qui se dit opposé à la tenue de l’élection présidentielle dans un contexte de guerre fratricide, le problème anglophone, pourtant spécifique, a été toujours dillué dans le problème général de mauvaise gouvernance du Cameroun.
Willbroad Dze-Ngoua précise : “Je vois des gens qui sont toujours en train de vouloir dilluer. On a un problème et au lieu de voir ce problème, on fait des analyses comparatives : on dit ‘oh, c’est seulement vous qui avez des problèmes ? Les Bororos ont aussi des problèmes. Nous, les Bamiléké, nous avions des problèmes pendant la période du maquis.’ Mais quand les gens auront été suffisamment poussés contre le mur, ils vont réagir parce que selon eux, ils préfèrent mourir plutôt que de continuer d’être des esclaves dans leur propre pays.”
Pacifiques par résignation
Du côté francophone, l’opposition au régime de Paul Biya a été largement étouffée, au cours des décennies passées, par la répression policière, la fraude électorale mais aussi une stratégie de division entre les différents clans et ethnies du pays.
Maitre Yondo Black, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du Cameroun et l’un des tous premiers prisonniers politiques de l’ère Biya, estime que les francophones sont avant tout pacifiques par résignation car ils sont conscients de la violence du régime en place.
Mais Yondo Black croit toutefois au changement, en exprimant d’une certaine manière sa pitié pour le vieux président: “Il aurait pu utiliser ses derniers jours pour se faire regretter, se faire pardonner, en disant : ‘le cadeau que je peux vous apporter c’est de me retirer pour que le relais soit assuré par d’autres’. Il aurait peut-être sauvé une partie de sa vie. Mais même réélu président de la République, il n’aura pas cette communion qui doit exister entre le chef et son peuple. Donc, nous courons toujours le danger de la révolte, je veux dire de la révolution. Toutes les conditions d’une révolution sont réunies pour que le Cameroun change, soit par la force soit par la voie démocratique.”
L’élection présidentielle du 7 octobre prochain se présente donc dans un contexte extrêmement tendu, avec un pays secoué par la révolte des régions anglophones et une population francophone qui assiste, pour l’instant en silence, au déchirement du Cameroun.