Lettre ouverte à Rigobert Song
CHER RIGOBERT SONG
Le rôle du président de la République n’est pas de ” sauver la vie “, de deux ou trois amis, ” d’opposants ” mal en point, figures ou légendes, mais de tout faire, je dis bien tout, pour améliorer les conditions de vie de ses compatriotes ! Très content pour toi, je souhaite que tu comprennes qu’il ne sert à rien d’être heureux dans un îlot de privilégiés au milieu d’un océan d’injustices en matière de santé et que tu t’investisses, tout aussi ardemment qu’en compétition, pour la mise en place de l’assurance-maladie au Cameroun !
Rien à dire, rien à faire, tu es un as ! Ah oui ! Jamais avant ton épopée en équipe nationale, toute en bravoure, moments palpitants et performances historiques, le Hemlé, cette savoureuse expression en bassa, signifiant à la fois courage, audace et hargne, n’avait autant fait florès. Eh bien ! avec bonheur, elle fait partie de notre précieux dictionnaire des expressions camerounaises.
Et puis ce frisson et cette fougue d’apprenti-reporter à Mutations en 2000 ! Quelle houle de joie dans la salle de rédaction, lors de cette finale de Can où sous le soleil radieux de la victoire des Lions indomptables au Nigeria, douze ans après sa victoire marocaine en Coupe d’Afrique des Nations, se tissait le fil de ta légende.
Je peux donc comprendre cette liesse et ces débordements de joie qui accompagnent ton retour tout autant que ton départ, il y’a quelque temps, pour une évacuation sanitaire en France, après un AVC, bien moins joyeux que le but victorieux de Vincent Aboubakar, résine de notre cinquième étoile en Can au Gabon. C’est un bonheur que tu sois revenu, en meilleure forme, prêt à reprendre ton boulot et continuer à rendre de précieux services.
Comme j’aurais aimé que beaucoup, que mille compatriotes aient ta chance. Parce que t’en a capitaine. De l’AVC, ont péri Guy Lobé et des tas d’autres. Ceux-là qui n’avaient ni le portable du Couple présidentiel ni ta gloire, encore moins les bons réseaux. Comme ils sont nombreux aussi, ceux qui comme Ibrahim Bello à Ombessa et le personnel de ce centre médical ” outrageusement sous-équipé “, pour reprendre les termes d’un confrère, auraient aimé bénéficier juste d’un lit d’hôpital normal à la place d’un lit de microbes et de misère.
Comme j’aurais aimé comme tant d’autres Camerounais que ce système suranné, défraîchi comme les privilèges royaux en France avant la Révolution ou en Russie avant la chute du tsar, de la sollicitude à tête chercheuse du Couple présidentiel quand il s’agit des évacuations, appartienne à notre passé. Oui, que toutes ces décisions discrétionnaires soient rangées au musée des caprices du Prince.
Avant ton départ, frémissait encore les suites de l’Affaire Koumatéké, tu sais, cette jeune camerounaise, qui n’a pas eu l’heur d’être transportée dans une ambulance comme toi, laissant sur le carreau, et sa vie, et ses jumeaux. A ton retour, la presse, Cameroon Tribune, journal des bonnes nouvelles du Gouvernement, figure en Une, le fronton de la belle bâtisse d’Obak dans la Lékié, abritant une centre d’excellence en ophtalmologie. Mais crois-moi, face à l’ampleur des dysfonctionnements, de nos manques, de nos retards et incuries, malgré mille efforts, il s’agit d’une poudre aux yeux.
Pourquoi ? Mon cher, demain, hélas, un autre baron du régime, une gloire du foot en cour à Etoudi, une personnalité de l’opposition à l’article de la mort, fera recours au ” très haut ” sur nos terres pour une évacuation. Explication simple : ceux qui ont la charge de notre système de santé et de notre Etat pensent qu’il ne sert pas à grand chose de doter nos hôpitaux, bref notre système de santé de plateaux techniques fiables, de haut standing et utiles à tous, tant qu’ils ont la possibilité d’être évacués à Neuilly en France, en Suisse, en Allemagne ou aux Etats-Unis, en cas de pépins.
Alors, ce sera un autre tube à la mode comme celui que tu viens d’exécuter : ” Je remercie le Couple…” Je te savais bon faroteur mais moins adepte d’atalaku. Ton charisme et ton aura peuvent servir à bien d’autres choses que ces salamalecs qui deviennent pesants : pourquoi pas Rigobert Song, ambassadeur de la couverture-maladie universelle au Cameroun ? Crois-moi, voilà une cause aussi honorable, digne et sans flagornerie inutile que les belles victoires des Lions.
Par Abdelaziz Moundé Njimbam
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