« Nous sommes en train de préparer et de réaliser des projets d’investissement avec des participations russes qui se comptent en milliards de dollars. » Dans un entretien donné à l’agence d’état Tass ce lundi 21 octobre, Vladimir Poutine donne le ton. Désormais, la Russie met le cap (économique) sur l’Afrique. En retard sur le concurrent chinois – la Russie ne représente que 5 milliards de dollars d’investissements sur le continent, la Chine, près de 130 milliards –, le pays compte bien se rattraper.
En témoignent les derniers chiffres : en 2018, les échanges russes avec le continent s’élevaient à 20 milliards de dollars. Une somme en hausse de 17,2 % par rapport au volume des échanges commerciaux de 2017. Les exportations russes vers l’Afrique, elles, ont doublé en trois ans, et comptent désormais pour 4 % de l’ensemble de ses exportations, contre 1 % il y a cinq ans.
En comparaison avec les échanges chinois ou américains, les chiffres russes restent faibles, mais la dynamique est enclenchée. Et la conjoncture économique s’y prête. Après cinq ans de sanctions économiques occidentales, la Russie cherche de nouveaux partenaires. Un appel du pied auquel la plupart des pays africains répondent présent. « D’un point de vue stratégique, la Russie peut se prévaloir, à l’égal de la Chine, de son indépendance, explique Derek Elzein dans un article de la revue Géoéconomie. Cet argument, qui peut sembler anodin, est souvent décisif pour d’anciens pays colonisés qui refusent d’être à nouveau dépendants des Occidentaux et qui voient dans ces deux pays la clé d’une émancipation géopolitique et économique. »
La sécurité comme point d’ancrage
Porte d’entrée de cette toute nouvelle relation économique : la lutte contre l’instabilité et les conflits. Pour contrer attaques terroristes, crimes et délits sur le sol africain, la Russie vend ses armes. Le grand forum économique qui se déroule en parallèle du sommet Russie-Afrique à Sotchi les 23 et 24 octobre a d’ailleurs pour thème central « la sécurité ». L’objectif de la conférence est de « formuler des propositions pour la mise en place d’une architecture de sécurité régionale utilisant de nouvelles solutions technologiques », plaide dans un communiqué Alexey Ivanov, responsable de l’activité économique extérieure et de la coopération militaro-technique de la société d’État Rostec.
Aujourd’hui, l’Afrique représente 15 % des ventes militaires du deuxième exportateur mondial d’armement. En 2017 et 2018, la Russie a agrandi son cercle de partenaires africains en signant de nombreux accords de ventes d’armes. Leur particularité ? Ces partenariats offrent « la sécurité contre des avantages économiques », explique dans une note de l’Ifri Arnaud Kalika. Des « contrats solidaires » qui se distinguent des partenariats avec la Chine, jugés contraignants par certains États du continent.
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L’Afrique du Nord, le partenaire historique
Un système d’échange adopté par l’Algérie depuis 2006. À l’époque, le pays, par lequel Vladimir Poutine a lancé la reconquête du continent, négocie l’effacement de sa dette. En échange, la Russie lui vend un gigantesque contrat d’armement. Depuis, Alger représente près de 80 % des ventes d’armes russes en Afrique. Une situation qui a permis à Moscou d’investir un autre secteur de l’économie, celui des hydrocarbures. Le géant russe de l’énergie Gazprom est implanté dans le pays nord-africain, où il a découvert trois champs gaziers. La méthode, utilisée en Libye 2008, avait là aussi fonctionné, la Russie ayant décroché un contrat ferroviaire. Mais la guerre déclenchée en 2011 a mis à mal les investissements. Gazprom demeure malgré tout présente sur certains gisements pétroliers et gaziers, très convoités depuis la chute du colonel Kadhafi.
En Égypte, l’accession au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en 2014 a redynamisé le partenariat historique qu’entretenaient les deux pays au temps de l’URSS. Les contrats d’armement et dans le secteur du nucléaire entretiennent les relations. Un des plus grands producteurs de pétrole russe, Rosneft, participe par exemple au projet gazier offshore géant de Zohr. La Russie, premier exportateur mondial de blé, fournit également l’Égypte en céréales.
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Au-delà du Maghreb
Globalement, les relations russo-nord-africaines ont souffert des révolutions arabes. Alors, depuis quelque temps, la Russie et ses sociétés dédiées à l’énergie se tournent aussi vers le sud du Sahara. Gazprom souhaite ainsi participer à un projet de gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe via l’Algérie. Le plus grand producteur russe de pétrole Lukoil a récemment découvert plusieurs champs pétroliers et gaziers au Ghana, au Nigeria et au Cameroun. Quant à l’entreprise Rosneft, elle prévoit de s’impliquer dans une vingtaine de projets du groupe nigérian Oranto.
L’industrie diamantaire, un secteur avec lequel la Russie s’est implantée en Afrique, lui assure aussi de solides partenariats. Dès 1993, le premier producteur mondial de diamants Alrosa fonde la mine de Catoca, en Angola, la quatrième plus grande au monde. Pour alimenter l’exploitation, le groupe y a même construit une centrale hydroélectrique. Le groupe Rusal, un des leaders de l’aluminium, un temps frappé par des sanctions américaines, exploite pour sa part des gisements de bauxite en Guinée et a décidé de rouvrir dans le pays une raffinerie d’alumine fermée en 2012. D’autres groupes tels que Norilsk Nickel, Severstal, Nordgold et Ferrum Mining sont d’ailleurs notamment présents à Madagascar, en Guinée, en Afrique du Sud et au Burkina Faso.
Une occasion, pour le continent, de faire des affaires avec la Russie, qui étend de plus en plus son influence à l’international. L’équation devra en revanche se faire d’égal à égal si la Russie ne veut pas s’attirer la méfiance, voire l’hostilité, que subit désormais la Chine vis-à-vis de nombreux pays du continent.
Par Marlène Panara | Le Point.fr
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