Malgré quelques avancées, dont l’ouverture prochaine d’un deuxième procès – en vingt-deux ans ! – contre deux génocidaires vivant en France, l’inauguration de lieux de mémoire (un à Paris), c’est le silence qui continue de prédominer au plus haut niveau de l’Etat sur les responsabilités de certains Français dans le génocide contre les Tutsi au Rwanda, qui a fait plus de 800 000 victimes entre avril et juillet 1994.
Le 7 avril 2015, la présidence de la République annonça la déclassification des archives relatives à l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1995 de l’Elysée, du ministère des affaires étrangères, du ministère de la défense et de l’Assemblée nationale. Un an après, aucune archive du ministère des affaires étrangères, ni du ministère de la défense ni de l’Assemblée nationale n’a été déclassifiée.
Seuls quelques documents, épars, minutieusement sélectionnés et ne contenant aucune information sur les responsabilités relatives au génocide, ont été déclassifiés par l’Elysée.
Appareil d’Etat instrumentalisé
Il y a quelques semaines, quarante-trois parlementaires français, de tous bords politiques, de l’Assemblée nationale comme du Sénat, parmi lesquels les chefs d’importants partis, d’anciens ministres, la présidente de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et la vice-présidente de la commission des affaires étrangères du Sénat, soutenus par quarante-trois parlementaires européens venus de dix-sept pays, se sont adressés au ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, pour solliciter un rendez-vous et lui demander la constitution d’une délégation ministérielle afin de participer, le 7 avril à Kigali, aux commémorations du génocide contre les Tutsi.
M. Ayrault a refusé de rencontrer ces parlementaires. L’exécutif a rejeté leur proposition, refusant même de prendre langue avec les autorités rwandaises à ce propos. Depuis que le Mouvement antiraciste européen (EGAM) a lancé l’initiative « Génocide contre les Tutsi : la vérité, maintenant ! » dans laquelle s’est engagée la jeunesse associative, politique et syndicale de France, d’Europe et du Rwanda, le ministère des affaires étrangères a purement et simplement supprimé la subvention qu’il lui attribuait annuellement pour ses actions en France et ailleurs en Europe – le secrétariat d’Etat aux affaires européennes poursuivant quant à lui son soutien.
Ainsi, comment ne pas comprendre que l’appareil d’Etat est instrumentalisé afin d’intimer le silence sur le génocide contre les Tutsi au Rwanda et qu’un coup est porté à l’ensemble de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, les discriminations raciales et le négationnisme sur tout le continent, au moment même où cette lutte est plus nécessaire que jamais ? Pourquoi tant de violence ? Pourquoi tant de silence ? Cela suffit.
A agir comme ils le font, les plus hauts dirigeants français d’aujourd’hui endossent de funestes responsabilités qui ne sont pourtant pas les leurs, mais celles de certains de leurs prédécesseurs des années 1990. Ils perpétuent ce silence qui démultiplie la souffrance des rescapés, qui porte atteinte au fonctionnement démocratique des institutions, qui fait transmission des idéologies qui ont conduit au massacre et empêche la justice de faire son travail. C’est pourquoi il faut briser ce silence.
Concrètement, cela signifie :
Pour le président de la République, par exemple à l’occasion de la journée de commémoration du génocide du 7 avril, énoncer un discours de vérité qui dise les lourdes responsabilités de certains, alors placés au plus haut niveau de l’appareil d’Etat dans leur collaboration avec le régime génocidaire avant, pendant et après le génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994.
Ce discours de vérité doit être accompagné d’actes symboliques forts, comme la constitution de la délégation ministérielle pour les commémorations au Rwanda demandée par les parlementaires.
La déclassification de toutes les archives, sans exception, relatives à l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1995, notamment toutes celles concernant l’opération « Turquoise », clé du soutien apporté au régime génocidaire.
Cela permettra à la justice de pouvoir faire son travail, en particulier de se pencher enfin sur les cas d’anciens hauts responsables, dont certains continuent d’être influents dans la vie politique française. Cela permettra également aux journalistes et aux historiens d’approfondir la connaissance de l’événement.
Pour le ministère des affaires étrangères, cesser d’entraver, par les moyens cités plus haut, l’action de la société civile engagée pour l’énonciation de la vérité sur le génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Cela contribuera à mettre un terme à l’instrumentalisation de l’appareil d’Etat au bénéfice de l’impunité de quelques-uns.
Ce sont là des actes simples, évidents dans une démocratie, mais qui, compte tenu du silence qui prédomine depuis plus de vingt ans au plus haut niveau de l’Etat, sont d’une impérieuse nécessité. Ce serait cela, l’honneur de la France.