« Il a fondé une organisation terroriste, il a contribué financièrement à des activités terroristes », voilà ce que la juge Beatrice Mukamurenzi a dit au sujet de Paul Rusesabagina, jugé pour son soutien au Front de libération nationale (FLN), un groupe rebelle accusé d’avoir mené des attaques meurtrières au Rwanda en 2018 et 2019.
L’histoire de ce Hutu modéré à l’apparence tranquille, avec sa moustache et son costume bien mis, a inspiré le film Hôtel Rwanda, sorti en 2004. Né en 1954 dans une famille d’agriculteurs du centre du Rwanda, Paul Rusesabagina a brièvement étudié la théologie, puis l’hôtellerie, au Kenya et en Suisse. De retour au Rwanda en 1984, il est embauché comme directeur général adjoint du plus prestigieux hôtel de la capitale Kigali, l’hôtel des Mille Collines. Quand le génocide commence en avril 1994, des centaines de personnes, principalement des Tutsis, s’y réfugient.
Hutu modéré marié à une Tutsi, Paul Rusesabagina discute avec les tueurs, les apaise avec des bières, utilise ses relations pour obtenir de la nourriture, tandis que ses « invités » boivent l’eau de la piscine. Il enverra des SOS aux gouvernements européens et au président américain Bill Clinton avec le fax de l’hôtel. Incarné à l’écran par Don Cheadle comme un altruiste à la voix douce, Paul Rusesabagina, aujourd’hui âgé de 67 ans, est aussi l’un des plus féroces critiques du président rwandais Paul Kagame.
Au terme d’un procès qualifié de « politique » par ses soutiens, il a été reconnu coupable ce lundi 20 septembre de « terrorisme ».
La prison à vie avait été requise contre le vieil homme. Mais ni l’accusé, qui pourra faire appel, ni ses avocats n’étaient présents à la lecture du verdict. Ils ont boycotté les audiences depuis mars, dénonçant un procès « politique » rendu possible par son « enlèvement » organisé par les autorités rwandaises, fin août alors qu’il était en voyage à Dubai, ainsi que des mauvais traitements en détention. Sa famille et ses soutiens n’ont eu de cesse de dénoncer « un spectacle mis en place par le gouvernement rwandais pour faire taire un critique et refroidir toute dissidence future ». « Papa a toujours plaidé pour la justice, la paix et les droits humains. Maintenant, ce sont ses droits qui sont violés », a déclaré sa nièce et fille adoptive, Carine Kanimba, en octobre 2020.
Arrêté dans des circonstances douteuses
Après avoir été arrêté dans des conditions controversées à Kigali en août 2020, ce virulent opposant à Paul Kagame a été jugé, avec 20 autres personnes, de février à juillet pour neuf chefs d’accusation, dont celui de « terrorisme ». Paul Rusesabagina a participé à la fondation en 2017 du Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), dont le FLN est considéré comme le bras armé, mais il a toujours nié toute implication dans ces attaques.
Les États-Unis, qui lui ont décerné la médaille présidentielle de la liberté en 2005, le Parlement européen et la Belgique, dont il est ressortissant, avaient également exprimé leurs préoccupations sur les conditions de son arrestation et l’équité du procès.
Dans une interview début septembre, le président rwandais Paul Kagame avait répondu aux critiques, assurant que Paul Rusesabagina serait « jugé aussi équitablement que possible ». Ce procès « n’a rien à voir avec le film (ni) avec son statut de célébrité », avait-il affirmé : « Il s’agit des vies de Rwandais perdues à cause de ses actions et à cause des organisations auxquelles il appartenait ou qu’il dirigeait ».
Une image de héros de plus en plus controversée à Kigali
Paul Rusesabagina est depuis plus de 20 ans un virulent opposant à Paul Kagame, qu’il accuse d’autoritarisme et d’alimenter un sentiment anti-Hutu. Il vivait depuis 1996 en exil aux États-Unis et en Belgique, avant d’être arrêté à Kigali en 2020 dans des circonstances troubles, à la descente d’un avion qu’il pensait à destination du Burundi. Le gouvernement rwandais a admis avoir « facilité le voyage » vers Kigali, mais affirmé que l’arrestation était « légale » et que « ses droits n’ont jamais été violés ».
Les cinq mois de procès ont vu des témoignages contradictoires sur son rôle. Un porte-parole du FLN a déclaré qu’il n’avait « pas donné d’ordres aux combattants du FLN ». Un autre coaccusé a, lui, affirmé que tous les ordres venaient de lui. Sa notoriété hollywoodienne avait suscité des critiques. Certains survivants des Mille Collines lui reprochent notamment de tirer profit de leur malheur et d’avoir embelli son rôle dans le sauvetage de plus de milliers d’entre eux. Il avait également utilisé sa célébrité pour donner un écho mondial à ses positions de plus en plus virulentes contre le régime de Paul Kagame, ce qui lui vaut des attaques de partisans du régime.
Par Le Point Afrique (avec AFP)