Depuis plusieurs jours, de nombreux hauts fonctionnaires redoutent les opérations Épervier au Cameroun et Mamba au Gabon. Certains ont depuis été incarcérés. Pour stopper la corruption, les pouvoirs en place ne devraient-ils pas davantage prédisposer les mentalités aux bonnes pratiques, notamment dès l’école ?
Tribune. Malaise au sein des bourgeoisies d’État. Qu’elles s’appellent Épervier au Cameroun ou Mamba au Gabon, les campagnes anticorruption sont un bouleversement auquel les classes supérieures ont du mal à s’accommoder. Humiliée, déconsidérée et parfois embastillée, l’élite tremble dans ses fondements. Les juges ont démystifié le graal de la fonction ministérielle en ouvrant grandes les portes des prisons aux ministres et directeurs généraux sans leur accorder beaucoup plus d’égards qu’à de vulgaires voleurs de poules.
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En d’autres temps, accéder à la dignité de ministre était vu comme l’aboutissement d’un engagement politique, voire d’une carrière. Siéger au Conseil des ministres témoignait de l’éclat d’une réussite sociale, de la reconnaissance de qualités professionnelles, éthiques et morales peu communes. Servir au sommet de l’État n’étant pas une sinécure, nul n’exigeait de ces fonctionnaires qu’ils fassent vœu de pauvreté. Le crime en col blanc était de moindre importance. Un ministre n’était pas un « voleur » parmi d’autres.
« Tous pourris »
Triste changement de mœurs, ce statut n’est plus ce qu’il était, tout comme le rapport au bien public n’est plus celui d’antan. La faute aux pouvoirs politiques. Ils ont longtemps nié ou trop mollement combattu la corruption, la laissant peu à peu gangrener toutes les strates de la société. Le concert de casseroles, un scandale après l’autre, a érodé le prestige des gouvernants. On ne leur pardonne plus leurs écarts. Leurs dépenses excessives apparaissent obscènes. Leur réserve passe pour de l’arrogance.
Dans l’opinion s’est installée l’idée que plus on monte dans la hiérarchie de la société, plus l’exercice de la vertu baisse. Dans sa généralisation et son injustice, cette antienne amalgame haute administration et classe politique dans le même déshonneur : « tous pourris ».
Prison
Un fait parmi d’autres. Le 24 mars dernier, des usagers de l’aéroport de Yaoundé ont pris à partie un ministre rentrant d’un voyage à l’étranger. L’infortuné voyageur a été conspué comme en d’autres temps on stigmatisait des individus issus de groupes criminogènes.
Le système se protège en sacrifiant celles de ses créatures dont le peuple réclame la tête
Sale temps pour les dignitaires camerounais, dont les oreilles sifflent encore à l’évocation des mésaventures de leur ex-collègue Basile Atangana Kouna. Déguisé en femme, cet ex-ministre de l’Eau limogé le 2 mars dernier et sitôt recherché par toutes les polices est parvenu à s’enfuir au Nigeria voisin, d’où il a été ramené de force quelques jours plus tard avant d’être écroué.
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Dans les prisons camerounaises croupissent un ancien Premier ministre, deux anciens secrétaires généraux de la présidence, cinq ex-ministres, onze anciens directeurs généraux… Le Gabon, vingt fois moins peuplé que le Cameroun, a déjà lui aussi fait arrêter trois anciens ministres et près d’une demi-douzaine de directeurs généraux. Dans les deux pays, ces personnalités tombent pour des crimes économiques présumés ou avérés liés à la gestion des affaires publiques.
Réinventer l’autorité et le prestige ministériels
En s’attaquant à l’élite, le système pourrait bien scier la branche sur laquelle il est assis. Mais pour la poignée de personnes qui déclenchent les procédures avec l’accord des chefs d’État, les inconvénients de ces purges sont inférieurs à leurs avantages. Ils en sont convaincus, ces excommunications sont de l’ordre de l’assainissement. Le système se protège en sacrifiant celles de ses créatures dont le peuple réclame la tête.
Aux régimes en place d’extirper le mal de la corruption à la racine, notamment dès l’école
Quant à la théâtralisation des arrestations et des procès, elle sert à démentir l’idée qu’il existe une justice de classe. Et si le dignitaire déchu est aussi, pour son malheur, un présidentiable crédible, alors à défaut d’obtenir sa condamnation en droit, on l’obtient en réputation. Et le peuple, lui, en redemande.
Au bout du cycle de ces machines à broyer que représentent les opérations « mains propres », il va falloir réinventer l’autorité et le prestige ministériels, qui sont la quintessence de la puissance de l’État. Aux régimes en place d’extirper le mal de la corruption à la racine, notamment dès l’école, afin de prédisposer les mentalités à l’exercice des bonnes pratiques. Par ailleurs, il est aisé d’observer qu’embastiller les hauts fonctionnaires engendre un effet dissuasif discutable. En revanche, l’image d’un État vermoulu peut susciter des vocations de « balayeur » en treillis. On a vu, en Côte d’Ivoire, comment cela s’est terminé.