Au mois de mars dernier, Le FMI en négociation avec le Cameroun pour l’octroi d’un nouveau prêt destiné à la riposte contre la covid-19, pose comme condition, la production par le Gouvernement camerounais, d’un audit sur l’utilisation des fonds précédemment alloués pour la lutte contre cette pandémie. Le FMI a recommandé l’élaboration d’un audit indépendant, pour plus d’équité, de transparence, afin d’éviter les dérapages, les récupérations et autres manipulations des données par certaines parties impliquées. Le 06 avril 2021, le SG/PR transmet une copie du rapport de la Chambre des Comptes de la Cour Suprême à Laurent Esso, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, et lui demande d’ouvrir une enquête judiciaire contre les auteurs et complices des malversations financières relatives à la gestion des fonds covid-19, révélant aux yeux du monde le scandale du covigate. Mais il s’agit d’un rapport d’étape incomplet ; la Cour des Comptes achève ses investigations et produit son rapport final sur l’utilisation du fonds spécial de solidarité national de lutte contre cette pandémie, ainsi que ses répercussions économiques et sociales.
Les premières constatations du covidgate font état de surfacturations vertigineuses, donnant lieu à des détournements massifs présumés, qui seraient évalués en milliards de francs CFA, ce qui laisse penser que les besoins exprimés aux bailleurs de fonds seraient très largement surévalués. Le covidgate dévoile au grand jour des problèmes de mal gouvernance, notamment la gabegie dans la gestion des fonds et des biens publics, la corruption, la concussion, le clientélisme, la non-maîtrise ou le mépris de l’intérêt commun, l’égoïsme, la cupidité, le manque de patriotisme de certains gestionnaires de la chose publique.
Ces fonds détournés de leur objectif premier, à savoir la lutte contre la covid-19, constituent une perte sèche pour l’Etat du Cameroun. Ils profitent essentiellement aux bailleurs de fonds, aux sociétés étrangères qui livrent du matériel et des produits sanitaires, à quelques gestionnaires véreux, et à des hommes d’affaires locaux triés sur le volet. Les grands perdants sont les populations cibles et l’État du Cameroun, qui devra faire face au remboursement d’une dette colossale. La situation est d’autant plus dramatique que, par le jeu des moratoires et des rééchelonnements de cette dette, le poids de son remboursement incombera demain à la jeunesse d’aujourd’hui, dont l’avenir se trouve, de ce fait, sérieusement hypothéqué.
Le FMI semble avoir mis le pied dans la fourmilière, en recommandant un audit des sommes déjà perçues au titre de la lutte contre la covid-19. La Cour des comptes a rendu sa copie, laquelle devait être présentée à l’Assemblée nationale le 23 juin 2021, conformément à la réglementation en vigueur. Mais contre toute attente, la séance de présentation du rapport de la Cour des Comptes a été renvoyé sine die, sans aucune explication, jetant ainsi un pavé dans la mare, et mettant en émoi l’opinion publique déjà scandalisée par les montants faramineux présumés détournés (180 milliards de francs CFA) et la qualité des mis en cause. En effet, il s’agit de hautes personnalités qui sont indexées ici : des Ministres, des Directeurs Généraux de structures publiques et parapubliques, des sociétés et des hommes d’affaires ayant pignon sur rue. Le scandale est immense et éclabousse le gouvernement, jusqu’aux plus hautes sphères, d’où les tergiversations, les lenteurs observées dans l’évolution du dossier au niveau pénal, probablement pour protéger et épargner certains hauts responsables indexés dans ce scandale politico-judiciaire. Un audit extérieur indépendant aurait été mieux indiqué dans cette affaire, où la plupart des personnes incriminées se retrouvent en position de juge et partie. Cette situation entraîne une crise gouvernementale qui embarrasse au plus haut point les pouvoirs publics.
Pour ne rien arranger, face à ce scandale, le Gouvernement pêche par son attentisme, son manque de réaction, qui frise la complicité et l’association de malfaiteurs. À titre d’exemple, dès les premières conclusions du rapport de la Cour des Comptes, des mesures conservatoires visant à préserver l’intégrité de la fortune publique auraient dû être prises immédiatement, à savoir, à tout le moins, démettre de leurs fonctions les responsables accusés de détournement présumé des deniers publics. Or, l’on constate malheureusement que ces mêmes responsables incriminés continuent à recevoir les fonds covid-19 prêtés par le FMI et les autres bailleurs de fonds, à les gérer, et probablement à les détourner impunément. Il y a lieu de s’en offusquer lorsqu’on sait que de hautes personnalités de l’État du Cameroun ont été appréhendées dans le cadre de l’opération épervier, une opération de lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics, condamnées à de lourdes peines de prison ferme, certaines pour des motifs fallacieux et fantaisistes tels que la « complicité intellectuelle », pour des sommes restées dans les caisses publiques ou perçues par d’autres personnes bien identifiées, pièces justificatives à l’appui.
L’on se retrouve face à une justice à deux vitesses, clémente pour les uns et cruelle pour les autres, ouvrant la voie à une insécurité judiciaire due à l’arbitraire, à la violation flagrante des lois, règlements et procédures judiciaires. La crédibilité déjà fortement écornée de l’opération épervier et sa survie dépendent du traitement équitable ou non qui sera réservé au covidgate, lequel apparaît ainsi comme un caillou dans la chaussure, ou une épine dans le pied du Gouvernement.
Par Caroline Meva, écrivaine
Article paru mercredi 11 août 2021 dans le Quotidien camerounais “Le Jour