Il faut féliciter le peuple algérien. Ce réveil. Ce sursaut. Ce refus d’avaler sa fierté et sa dignité. De continuer à se prosterner devant une effigie, celle d’un esprit-chien, d’un esprit-porc mort il y a longtemps, mais transformé en poupée maléfique, en un hideux masque ossuaire dont se servent des sicaires pour violer tout un pays.
Le même masque hante tout le Continent à la manière d’un sort. Et c’est à se soigner de ses vieillards qu’est conviée l’Afrique à l’oree de ce siècle.
Il y a en effet très longtemps que la vieillesse a cessé d’être un signe de sagesse dans ce continent.
Prenez le Cameroun où un satrape de 86 ans, au pouvoir depuis 37 ans, cherche à présent à imposer une monarchie matrimoniale à un peuple avachi et lobotomise, ou l’on ne compte plus le nombre de prisonniers politiques, de captifs et autres otages d’un régime désormais qualifié de ‘diabolique’, preuve heureusement qu’il y en a de plus en plus qui refusent de se laisser sodomiser.
C’est aussi le cas au Nigeria voisin ou deux vieillards s’étripent, dont un, Buhari, aura passé l’essentiel de son premier mandat sur un lit d’hôpital à Londres, la où l’autocrate camerounais, jouisseur, et sa jeune épouse encombrée de quincaillerie et de colifichets, préfèrent dilapider les maigres ressources de leur peuple dans un hôtel suisse. A Genève.
Mais c’est aussi le cas au Tchad voisin ou un vieillard sanguinaire et brutal joue au tirailleur pour le compte de la France au Mali et ailleurs, laquelle en retour envoie ses avions de combat le protéger chaque fois qu’il est menacé par une rébellion, lorsqu’elle ne l’aide pas à décimer des communautés d’orpailleurs dans le but de récupérer des mines d’or qu’il se hâte de vendre à l’encan.
La plupart des vieillards qui violent nos pays n’aspirent plus qu’a devenir des brigands.
Même chose au Congo Brazzaville voisin ou un autre vieillard pervers a mis à genoux une petite principauté pétrolière qui aurait pu devenir le Qatar de l’Equateur. Que dire du Gabon ou un autre grabataire prétend gouverner à partir de son lit d’hôpital au Maroc où il est littéralement sous perfusion? Et de la Guinée Équatoriale? Et de l’Ouganda? Hier du Zimbabwe.
L’Afrique est infestée de vieillards-requins, de vieillards-pythons, de vieillards-empoisonneurs, pestilentiels, qui fauchent leurs peuples, de vieillards vampires et cannibales qui se nourrissent du sang de la jeunesse, répandent partout du venin, sèment la desolation et la ruine, et refusent de mourir seuls.
La vieillesse est devenue l’un de nos problèmes politiques, philosophiques et culturels majeurs, notre grand drame a l’oree de ce siècle. Il s’agit évidemment de vieillards en tant qu’individus avec un nom, un corps et un visage.
Mais il s’agit également de la vieillesse en tant que structure de domination et habitus, la conjugaison de la gerontocratie et du patriarcat, la vieillesse en tant que grand problème de santé mentale et politique de nos sociétés à l’heure où la violence du monde ne cesse de s’intensifier.
Ce paradigme de la domination, mélange de brutalité, de phallocratie et de prédation perverse, fonctionne au virilisme. Il n’est pas seulement une affaire d’age biologique. C’est un dispositif ou un assemblage qui fabrique à la pelle des cadets sociaux de tous genres, des femmes phallocrates tout comme des hommes émasculés et dévirilisés.
Si l’on veut s’en sortir, il faudra donc s’attaquer frontalement à ce complexe geronto-phallocratique. Il est devenu, en effet, l’une des grandes sources de nos misères.
Par Achille Mbembe
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Le choix historique du pouvoir algérien
Editorial. Si la contestation prend de l’ampleur contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, le pouvoir va être placé devant deux options historiques.
Editorial du « Monde ». Qui oserait se dire surpris ? L’Algérie se réveille. Les dizaines de milliers de manifestants descendus dans la rue depuis vendredi 22 février pour protester contre la candidature à un cinquième mandat d’un président malade et invisible expriment un sentiment qui relèverait du bon sens dans tout autre pays.
Mais l’Algérie, restée à l’écart des « printemps arabes », n’est pas un pays comme les autres et ce réveil n’en est que plus significatif. Les rues d’Alger n’avaient pas vu ce type de contestation depuis près de vingt ans. L’électorat était resté passif à l’annonce de la quatrième candidature d’Abdelaziz Bouteflika, en 2014, alors qu’il venait d’être frappé par l’AVC qui l’a depuis profondément handicapé mais qui, à l’époque, pouvait passer pour un accident sans conséquences durables.
Cette fois-ci, c’est la candidature de trop. L’incapacité de M. Bouteflika à exercer ses fonctions est devenue trop évidente : il ne s’est pas exprimé en public depuis sept ans et se fait représenter dans les rassemblements par un portrait de lui auquel tous les honneurs sont dus. Son refus, à 81 ans, d’organiser sa succession est incompréhensible pour une population dont 45 % a moins de 25 ans. L’opacité du fonctionnement du clan au pouvoir autour de lui occulte toute perspective de changement. La manière dont est organisé le processus électoral verrouille toute chance d’alternance.
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Dans ces conditions, la rue apparaît comme un recours naturel. Il n’est pas sans risque : remarquablement tolérées vendredi, les manifestations ont été dispersées dimanche par les forces de l’ordre, qui ont procédé à des arrestations. La semaine qui s’ouvre s’annonce cruciale. Les étudiants entendent protester le 26 février, et de nouveaux appels à manifester ont été lancés pour le 1er mars, deux jours avant la date limite de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle du 18 avril.
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Si des gestes de désobéissance comme ceux des journalistes de la radio publique, qui ont protesté contre l’interdiction de couvrir les manifestations, se multiplient et si la contestation prend de l’ampleur, le pouvoir va être placé devant un choix historique.
Frustration et colère
Il peut tenter d’écraser le mouvement et maintenir la candidature du président Bouteflika, comme si de rien n’était. La répression peut en effet venir à bout de cette protestation pour l’instant pacifique et ordonnée, dans un pays terriblement marqué par la sanglante guerre civile des années 1990 et dont la jeunesse est plus motivée par l’envie de quitter le pays que par celle de voter. Mais le silence forcé des Algériens ne serait alors que provisoire. La frustration et la colère accueilleraient inévitablement l’annonce de la victoire du président invisible, dont le cinquième mandat se présenterait sous de très mauvais auspices.
L’autre option possible est d’entendre le message des manifestants et de réagir avant qu’ils ne se radicalisent. Le régime algérien ne donne pour l’instant aucun signe d’ouverture, au contraire : le président Bouteflika a même adressé dimanche « un message fort de continuité », dans un texte lu par son ministre de l’intérieur à l’occasion de l’anniversaire de la centrale syndicale UGTA. Peut-être le clan au pouvoir n’a-t-il pas encore pris la mesure de la frustration des Algériens. La mise en œuvre de scénarios de transition pacifique s’impose pourtant de manière urgente. Il faut, enfin, penser l’après-Bouteflika.
Le Monde