« Ousmane Sonko a gagné » : au Sénégal, Adji Sarr sort du silence et réitère ses accusations
Que devient Adji Sarr ? La question était sur toutes les lèvres ces dernières semaines au Sénégal. En accusant de viol et de menaces de mort, début février, l’opposant Ousmane Sonko, cette employée d’un salon de massage a donné le coup d’envoi d’une vague de contestation d’une virulence inédite dans un pays pourtant réputé pour sa stabilité. Sa plainte a été rejetée en bloc par les partisans du leader des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), qui ont dénoncé une machination politique visant à écarter leur champion du jeu politique.
La jeune femme ne s’était pas exprimée en public depuis le début du scandale. Mercredi 17 mars, elle a finalement brisé le silence lors d’un entretien donné au Monde Afrique et à trois organes de presse locaux et diffusé sur plusieurs chaînes de télévision privées. L’occasion de livrer sa version des faits.
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« J’ai connu Ousmane Sonko au salon de massage où j’étais employée. Je l’ai reconnu sans rien dire. Lorsqu’il s’est déshabillé dans la cabine, j’ai vu qu’il portait deux armes dans leur gaine. J’ai pris peur mais il m’a dit que c’était pour sa protection », a raconté Adji Sarr. Au terme de cette première séance, affirme-t-elle, le député lui aurait indiqué qu’il connaissait son domicile et sa vraie identité, alors qu’elle travaillait sous pseudonyme. Quand elle l’a supplié de ne pas la toucher, il l’aurait étranglé. « Il m’a demandé de me mettre par terre pour faire ce dont il avait envie, avant de me laisser partir », a-t-elle poursuivi, la voix nouée : « Il n’a pas pointé ses armes sur moi mais m’a fait comprendre qu’il pouvait me faire tuer sans que personne ne le sache. »
« Ma patronne m’a conseillé d’avorter »
Depuis la médiatisation de sa plainte, la jeune femme a reçu plusieurs menaces et vit cachée. Si l’affaire a profondément divisé le Sénégal, la parole de la plaignante a été jusqu’à présent peu prise en considération. Un peu plus d’un an après l’adoption d’une loi criminalisant le viol, les organisations féministes ont été rares à soutenir la jeune femme. Un silence interprété par certains analystes politiques comme le signe d’une défiance à l’égard de la justice sénégalaise.
Mercredi, c’est la tête couverte d’un voile noir qu’Adji Sarr s’est présentée aux médias. Tout au long d’un récit décousu, la masseuse a raconté avoir été violée à plusieurs reprises après la première agression. Elle a également confié être tombée enceinte de M. Sonko. « Quand j’ai révélé à ma patronne qui était l’auteur de ma grossesse, elle m’a dit s’en douter mais m’a conseillé d’avorter avec du Coca associé à du café pour ne pas causer de problèmes », a déclaré la jeune femme, assurant détenir des enregistrements sur son téléphone.
Mais « il a gagné, car tout ce qu’il avait prédit s’est réalisé », regrette-t-elle : « Il me disait : “Personne ne te croira. On dira que c’est un complot contre moi et tu paieras les pots cassés. Je pense que tu ne prendras pas le risque que ta famille sache que tu as été déviergée en tant que masseuse. Et que ta patronne ne prendra pas le risque de perdre un client comme moi.” » Très précise à certains moments de son exposé, Adji Sarr est restée évasive sur d’autres points. Elle n’a pas indiqué le nombre d’agressions dont elle aurait été victime – cinq selon le procès-verbal – ni daté le premier rapport forcé qu’elle dit avoir subi, évoquant seulement l’année 2020.
« Qu’il le jure sur le Coran ! »
« Ce qui est triste, c’est qu’elle assimile mal la pièce qu’on lui fait jouer », a réagi Ciré Clédor Ly, membre du pool d’avocats de M. Sonko, interrogé sur les propos de la jeune femme. « Nous préférons laisser la justice suivre son cours », a renchéri son confrère Bamba Cissé.
Ousmane Sonko avait admis qu’il fréquentait le salon de massage où travaillait Adji Sarr, situé dans un quartier résidentiel de Dakar. Mais il avait expliqué s’y rendre pour soigner un mal de dos chronique. L’opposant, arrivé en troisième position à l’élection présidentielle de 2019, n’a cessé d’évoquer un complot ourdi par le président Macky Sall.
Mercredi, la plaignante a juré n’avoir jamais eu de contacts avec le chef de l’Etat. Quant à Sidy Ahmed Mbaye, le jeune homme qui l’a conduite à l’hôpital puis à la police, elle l’a décrit comme un frère qui lui aurait conseillé de trouver des preuves avant de porter plainte. Son nom a été cité dans la procédure car il est affilié à un membre de la coalition présidentielle.
« Si Ousmane Sonko n’a jamais couché avec moi, qu’il le jure sur le Coran ! », a lancé Adji Sarr à la fin de l’entretien. En attendant, les déclarations des uns et des autres sont loin d’avoir éclairci toutes les zones d’ombre de cette affaire qui continue de tenir en haleine les Sénégalais. Le témoignage de la jeune femme, mercredi soir, a été visionné par près d’un million de personnes.
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