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Nouvelle journée de tensions au Sénégal, quatre morts depuis le début des manifestations
Au Sénégal, quatre morts sont à déplorer depuis le début des manifestations. C’est le bilan avancé, vendredi 5 mars au soir, par les autorités. Les violences liées à l’arrestation d’Ousmane Sonko, mercredi ,se poursuivent au Sénégal. L’opposant accusé de troubles à l’ordre public a été placé en garde à vue. La tension reste forte à Dakar. Dans une courte déclaration, le ministre de l’Intérieur affirme que le gouvernement emploiera « tous les moyens nécessaires » pour ramener l’ordre.
Le ministre sénégalais de l’Intérieur a dénoncé des « actes de provocation sans précédent et sans commune mesure » avec le soutien « de forces occultes identifiées ». Il condamne des actes de « nature terroriste », des saccage, des pillages, avant, à la fin de la déclaration, d’annoncer une « perspective d’un allègement » du couvre-feu sanitaire actuellement en vigueur.
Vendredi 5 mars au soir, la situation était très volatile, avec des rassemblements de manifestants dans divers secteurs. Un appel à une marche pour « la défense de la démocratie » -le mot d’ordre- avait été lancé l’après-midi en centre-ville, avec comme objectif la place Soweto, près de l’Assemblée nationale, mais ceux qui ont tenté de s’en approcher ont été dispersés à coup de gaz lacrymogène par les policiers et les gendarmes du GIGN. La foule s’est alors éparpillée dans les rues adjacentes en criant « Libérez Sonko », « il nous comprend » « on marche pour notre dignité », « on en a marre ».
Tous les commerces du centre-ville sont fermés, aucune circulation, et une tension palpable, avec des mouvements de groupes régulièrement dans différents quartiers. Des incidents ont été signalés tout au long de la journée, à l’université Cheikh-Anta-diop, à la Médina, vers la place de l’Obélisque, à Colobane, des pneus brûlés sur certains axes, des nuages de fumée, des pick-ups non immatriculés chargés de jeunes casqués. Parallèlement, des magasins ont encore été pillés, notamment des supermarchés Auchan – et des bâtiments attaqués. Des scènes de guérilla urbaine.
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Une ambiance délétère donc, mais pas de réaction des autorités depuis un communiqué du gouvernement jeudi soir, pour dénoncer les violences, et rappeler l’état de catastrophe sanitaire. Le mouvement Y’en a marre, qui avait – entre autres – appelé à la mobilisation cet après-midi, a annoncé l’arrestation de deux ses membres, les rappeurs Thiat et Kilifeu.
A noter la réaction du représentant spécial de l’ONU pour l’Afrique de l’ouest et le Sahel, Mohamed Ibn Chambas, qui appelle au calme et à la retenue et exhorte les autorités à prendre les mesures nécessaires pour « apaiser la situation ».
Plusieurs villes de l’intérieur sont le théâtre de scènes de colère
Dans certaines localités, des édifices publics ont été saccagés. Mais globalement, les manifestations de l’après-midi se sont déroulées sans incidents majeur. Vendredi matin, à Saint- Louis (nord), des élèves ont délaissé les bancs de leurs écoles pour manifester dans les rues. Ils ont tenté de bloquer l’accès au pont Faidherbe, provoquant des affrontements avec les forces de l’ordre. Selon plusieurs sources, des jeunes auraient ensuite incendié le siège de l’APR, le parti du président.
Des scènes de colère signalées aussi dans le sud du pays : à Bignona, la maison du préfet a été saccagée. A Sédhiou, la gouvernance, la mairie, l’inspection d’académie et le bâtiment des Eaux et Forêts ont été vandalisés par des groupes de jeunes.
« Ç’aurait pu être une manifestation pacifique, mais les jeunes ignorent que l’administration travaille pour le bien de tous », regrette Souleymane Diallo, un enseignant qui déplore la destruction de biens publics et privés.
A Ziguinchor, une station d’essence a été incendiée par des jeunes manifestants. Des kiosques de transfert d’argent de la société Orange Money ont été brûlés. Malgré ces tensions notées dans la matinée de vendredi, les sympathisants d’Ousmane Sonko ont ensuite marché dans le calme, en chantant l’hymne national, jusqu’à la gouvernance. Une marche qui était encadrée par la police et l’armée.
Ousmane Sonko de nouveau en garde à vue
Un mandat d’amener avait été délivré. Ousmane Sonko a été emmené très tôt vendredi matin aux aurores, selon sa défense, au palais de justice de Dakar pour être présenté au doyen des juges d’instruction, qui a repris le dossier concernant l’accusation de viol avec menaces de mort, puisque le juge d’instruction d’abord chargé de l’affaire s’était dessaisi du dossier la veille.
Ses avocats affirment que l’accès au bureau du doyen des juges leur a été refusé. Selon sa défense, le juge lui a notifié les motifs d’inculpation : viol et menaces de mort. Une nouvelle convocation est prévue lundi.
« Ousmane Sonko a effectivement fait l’objet d’un mandat d’amener, pour pouvoir faire face au doyen des juges d’instruction et répondre des chefs d’accusation de « viol » et de « menaces de mort ». Ousmane Sonko a reçu une notification des chefs d’inculpation. Pour ce qui est de l’autre dossier de « troubles à l’ordre public », celui-ci est toujours sur la voie d’enquête », détaille Me Abdoulaye Tall, l’un de ses avocats.
À la mi-journée, Ousmane Sonko a été ramené à la section de recherches de la gendarmerie, où il reste en garde à vue, dans une autre procédure : celle pour « troubles à l’ordre public » lors de son trajet vers le tribunal mercredi. Me Bamba Cissé, également avocat de l’opposant, déclare : « Monsieur Ousmane Sonko fait l’objet d’une troisième procédure sur le dossier d’appel à l’insurrection. Une procédure de levée de l’immunité parlementaire a été à nouveau enclenchée en vue de l’inculper. »
Une nouvelle procédure, donc, liée à l’inculpation d’une vingtaine de militants du parti Pastef d’Ousmane Sonko, arrêtés lors des toutes premières manifestations liées à cette affaire, le 8 février dernier. Nouvelle étape, selon la défense de l’opposant, d’un « complot » pour éliminer un adversaire politique.
On entendait encore, vendredi soir à Dakar, des sirènes, des cris, difficile de prévoir quelle sera la suite des événements.
Un «signal fort» adressé au pouvoir en place
Pour le politologue Papa Fara Diallo, enseignant chercheur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal, la mobilisation dans la rue dépasse désormais largement le cadre des partisans de l’opposant. Et c’est un « signal fort » adressé au pouvoir : « Il me semble qu’il s’agit d’une frustration que la population entretient depuis assez longtemps, exacerbée par les restrictions liées au Covid-19. Il y a cette jeunesse qui est en colère contre le système par rapport au manque de perspectives. C’est cette colère-là qui est en train de s’exprimer actuellement dans la rue et qui dépasse clairement le cadre partisan du parti Pastef [les patriotes], le parti d’Ousmane Sonko. »
« Ce ne sont pas que des militants d’Ousmane Sonko, dit encore le politologue. Beaucoup de jeunes sont sortis, c’est comme une sorte de défoulement prétextant de cette affaire d’Ousmane Sonko. Il s’agit clairement de ce qu’on pourrait apparenter aux émeutes de la fin de 2011 et qui étaient un des signes avant-coureurs qui ont occasionné la chute du régime d’Abdoulaye Wade. Ce sont des signaux extrêmement forts et le régime en place gagnerait à faire une lecture lucide de cette situation pour pouvoir apporter des mesures d’apaisement pour pouvoir sortir le pays de ces turbulences physiques ».
Source : RFI
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Au Sénégal, l’affaire Ousmane Sonko cristallise les frustrations de la population
« Libérez Sonko ! » Plusieurs dizaines de jeunes Sénégalais scandaient ce slogan, mercredi 3 mars, devant la gendarmerie nationale de Colobane, en plein cœur de Dakar, avant d’être repoussés par les gaz lacrymogènes lancés par les forces de l’ordre. A l’intérieur des locaux, Ousmane Sonko, le leader du parti d’opposition Pastef-Les Patriotes (Les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) était en garde à vue pour « trouble à l’ordre public » et « participation à une manifestation non autorisée », selon ses avocats. « C’est un scandale, l’objectif est d’emprisonner Ousmane Sonko pour l’éliminer des listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2024 », s’est indigné son avocat Me Bamba Cissé, pendant que des échauffourées éclataient dans plusieurs quartiers de Dakar.
Lire aussi Sénégal : Ousmane Sonko, le principal opposant au pouvoir, arrêté sur le chemin du tribunal
Le principal opposant politique du pays a été arrêté dans la matinée, quand des affrontements entre ses sympathisants et les forces de l’ordre ont perturbé son convoi, qui le menait au tribunal. Il se rendait à une convocation du juge d’instruction, alors qu’il est visé depuis début février par une plainte pour « viols et menaces de mort » déposée par une employée d’un salon de beauté. Si des responsables de la majorité présidentielle répètent qu’il revient à la justice de trancher cette affaire privée, Ousmane Sonko continue de dénoncer un complot politique. L’affaire agite le Sénégal depuis un mois et cristallise les frustrations politiques, économiques et sociales de la population.
« Avant, je n’étais pas avec Sonko. Maintenant je le soutiens et je suis contre son arrestation parce qu’on en a marre de Macky Sall [le président sénégalais]. On ne veut plus voir les opposants en prison dès qu’ils s’expriment », lance Cheikh Diop, un manifestant. Plus loin, fuyant le boulevard dont l’air est chargé de fumées des gaz lacrymogènes, Fadil Diedhiou reprend son souffle dans les ruelles du quartier Colobane dont toutes les boutiques ont baissé le rideau. « Nous avons une justice. Mais les démarches démocratiques n’ont pas été respectées, ni au niveau judiciaire, ni au niveau de l’assemblée nationale avec la levée de l’immunité parlementaire d’Ousmane Sonko vendredi dernier », dénonce le jeune homme de 26 ans, pourtant membre d’un parti de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar.
« Utilisation démesurée de la force publique »
Les habitants du quartier regardent les affrontements depuis leurs balcons. Les rues jonchées de pierres et de pavées sont bloquées par des pneus ou des scooters brûlés, et des véhicules blindés bloquent les intersections des grandes avenues. « Cette situation est déplaisante, c’est du gâchis », commente Thiam, commerçant de Colobane qui a dû fermer boutique toute la journée. Awa Ba, une riveraine, se désole des blessés et des dégâts matériels. « Mais il faut laisser les jeunes manifester car nous vivons dans une démocratie », considère la mère de famille qui a voté pour Ousmane Sonko à l’élection présidentielle de 2019, après avoir soutenu pendant longtemps Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar écarté de la vie politique après avoir été condamné à cinq de prison notamment pour « escroquerie portant sur des fonds publics ».
D’autres mobilisations ont aussi éclaté au nord du pays, à Saint-Louis, et au sud, en Casamance, fief d’Ousmane Sonko. « Ces manifestations dépassent sa personne. Cette affaire a été l’étincelle qui a déclenché l’expression d’un mécontentement profond lié à un manque de perspectives d’avenir dans un contexte de Covid-19, analyse Alioune Tine, militant des droits humains. C’est la première fois depuis 2011 que l’on voit cette mobilisation. » Le 23 juin 2011, face à la colère de la rue, l’ancien président Abdoulaye Wade avait dû abandonner son projet de réforme constitutionnelle qui lui aurait permis de briguer un troisième mandat.
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« Je suis partisan de la paix et de la cohésion sociale mais nous sommes fatigués », lâche Cheikh Touré, un manifestant qui craint que la situation ne dégénère. La plateforme de la société civile Jammi Rwemi – qui réunit 21 organisations des droits humains, dont Amnesty International Sénégal – lance donc un « appel à la retenue ». Elle réclame d’un côté « la cessation immédiate des arrestations et détentions arbitraires » en constatant une « utilisation démesurée de la force publique contre toute voix discordante ». De l’autre, elle demande aux membres du Pastef-Les Patriotes d’arrêter leur « discours musclé de défiance face aux institutions républicaines » qui risque d’installer « une instabilité politique, sociale et économique durable ». Malgré l’interdiction des manifestations dans le cadre de la pandémie de coronavirus, une marche nationale pour la défense de la démocratie est maintenue, vendredi, par plusieurs partis d’opposition et mouvements de la société civile.