Serge Bambara, alias « Smockey », un modèle d’abnégation et de détermination pour tous les acteurs de l’immense société civile Africaine…
Bravo Monsieur!
Burkina Faso : « On a vraiment frôlé la catastrophe »
Serge Bambara, plus connu comme « Smockey », est le cofondateur du Balai citoyen, le mouvement qui avait orchestré les soulèvements populaires d’octobre 2014 responsables de la chute du président Blaise Compaoré. Pendant le coup d’État, l’activiste s’est caché pour échapper à la répression des militaires du régiment de sécurité présidentielle (RSP).
Mercredi 23 septembre, le chef des putschistes, le général Gilbert Diendéré, a mis un point final au coup d’État et a présenté ses excuses. Le président de la transition a repris la tête de l’État. Vous attendiez-vous à une telle conclusion ?
Nous savions que l’armée régulière interviendrait, mais nous ignorions quand. L’arrivée de plusieurs colonnes dans la capitale en début de semaine a été une bonne nouvelle pour soulager l’effort populaire. Nous devions tenir le plus longtemps possible pour les pousser à réagir.
Aujourd’hui, la transition a repris, mais il faut rester prudent. On a quand même frôlé la catastrophe : l’ancien régime a manqué de revenir au pouvoir dans le sillon du RSP. Notre objectif n’est pas atteint tant que la menace n’est pas définitivement écartée. Or, le général Diendéré n’a pas été arrêté et le régiment de sécurité présidentielle pas encore été désarmé.
Le rôle du Mogho Naba, roi des Mossis et autorité traditionnelle très respectée au Burkina Faso, n’a-t-il pas été plus décisif que celui des manifestants ?
Ce n’est pas lui qui a mené l’insurrection du 30 et 31 octobre 2014 contre le régime de Blaise Compaoré. Il n’a pas non plus, ces derniers jours, appelé le RSP à rendre les armes. Le Mogho Naba, chez qui les militaires de tous bords se sont rendus pendant la crise, a toujours servi d’abri. Il pourrait jouer un rôle de pacificateur, mais son action relève surtout du copinage. Il sert les intérêts des anciens caciques du régime, qu’il connaît très bien.
Les hommes du RSP avaient manifestement tiré les leçons du soulèvement populaire de 2014 : très vite, ils ont quadrillé la ville, réprimé les manifestations. Le Balai citoyen a été peu audible. Comment vous êtes-vous organisés ?
La plupart des leaders du mouvement étaient directement ciblés par les putschistes. Nous avons changé de planque toutes les quarante-huit heures et fait très attention à nos moyens de communication.
Dès l’annonce du coup d’État, nous avons demandé à nos militants de nous rejoindre sur la place de la Révolution, puis décidé de marcher sur le palais présidentiel. La foule grossissait, mais nous avons été stoppés par les balles assassines du RSP. La situation s’est vite corsée, avec des courses-poursuites à travers la ville.
Quand on a affaire aux mitraillettes et aux kalachnikovs, on ne réfléchit pas longtemps, on se disperse. Les nouvelles n’étaient pas bonnes me concernant, j’ai dû trouver une planque. Heureusement que je me suis caché, parce que le lendemain mon domicile a été visité à plusieurs reprises, et mon studio d’enregistrement, détruit par une roquette !
Avez-vous pu agir malgré tout dans la clandestinité ?
Très vite, des consignes ont été diffusées pour que les sympathisants se fassent discrets et se mêlent à la foule. Nous nous sommes organisés à l’intérieur des quartiers, en profitant du fait que certains soient moins surveillés que d’autres.
La plupart des leaders du mouvement étaient directement ciblés et recherchés par les putschistes. Nous avons changé de planque toutes les qurante-huit heures et fait très attention à nos moyens de communication. Si je vous ai demandé de m’appeler sur cette ligne, c’est parce que les autres sont écoutées.
Il y a une vraie guerre de l’information en ce moment. Nous passons notre temps à recouper les éléments qu’on nous envoie. Les relais du RSP ont tout fait pour semer le doute dans les esprits en nous inondant de fausses informations. Nous étions obligés de contre-attaquer en permanence sur les réseaux sociaux.
Finalement, que peut le « balai » face aux fusils ?
Nous pouvons beaucoup plus que si nous avions des fusils : au-delà de notre détermination, qui repose sur des valeurs justes et universelles, nous savons que nous sommes vulnérables lorsque nous ne sommes pas organisés. Cela nous oblige à être plus stratèges et rassembleurs. D’où notre slogan : « Notre nombre est notre force ! »
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Avez-vous été en contact direct avec les putschistes ou, à l’inverse, avec des membres des autorités de transition ?
Pour ce qui est des putschistes, la réponse est non, car nous n’avons jamais voulu négocier avec ces terroristes. Nous n’avons reçu d’eux que des menaces et des condamnations à mort. Par contre, nous avons été en contact avec certaines autorités de la transition, ne serait-ce que pour harmoniser nos points de vue et recouper certaines informations.
Regrettez-vous de ne pas avoir été suffisamment actifs pendant la transition ? Comment avez-vous fait vivre les valeurs défendues par la révolution d’octobre 2014 ?
L’une de nos dernières réclamations, renouvelée depuis six mois d’ailleurs, c’était la dissolution du RSP sans conditions. Les événements des derniers jours nous ont donné raison.
Je ne crois pas non. Comme Edith Piaf, nous ne regrettons rien. Si nous avons refusé de participer à un quelconque organe exécutif de la transition, c’est pour pouvoir assumer notre charge de sentinelle. Nous avons toujours réagi quand il le fallait, quand nous pensions que la transition s’écartait de sa mission de serviteur du peuple intègre [jeu de mots : Burkina Faso signifie « Pays des hommes intègres »]. Nous avons réagi par des manifestations, des sit-in, des déclarations et toutes sortes de pression populaires pour porter la volonté du peuple. L’une de nos dernières réclamations, renouvelée depuis six mois d’ailleurs, c’était la dissolution du RSP sans conditions. Les événements des derniers jours nous ont donné raison.
Quel est, selon vous, l’avenir de mouvements comme le Balai citoyen ; Y en a marre, au Sénégal ; Filimbi ou Lucha, en République démocratique du Congo ?
Ces mouvements vont s’amplifier et devenir incontournables, tant qu’il n’y aura pas d’autres alternatives sérieuses susceptibles de mettre fin à la boulimie de pouvoir de nos dirigeants africains.
Notre mission n’est pas de mettre fin aux régimes dictatoriaux, quels qu’ils soient, mais de représenter une force de pression et de proposition pour obliger les gouvernants à travailler dans le sens des intérêts des citoyens. C’est pourquoi nous ne nous présentons pas comme des concitoyens, mais bel et bien comme des citoyens balayeurs.
Elise Barthet
Source : LE MONDE