LETTRE OUVERTE DU WEB JOURNALISTE CAMEROUNAIS MICHEL BIEM TONG AU PRÉSIDENT AMÉRICAIN DONALD TRUMP
Monsieur le président,
Le 20 septembre dernier, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, vous avez convié des chefs d’État africains à prendre part à un dîner. Il s’agissait pour la plupart des présidents élus démocratiquement à la tête des pays où l’alternance au pouvoir est de mise. Certains analystes politiques ont vu en votre geste un signal fort lancé à l’endroit des dictateurs africains qui s’accrochent au pouvoir au détriment de la volonté de leur peuple.
Monsieur le président,
Cette lettre ouverte que je vous adresse renferme un cri qui retentit à partir d’un pays d’Afrique centrale : le Cameroun. Ce cri est sans doute celui des millions de Camerounais qui depuis le 6 novembre 1982 ploient sous le lourd poids d’un pouvoir dictatorial et sanguinaire.
Oui, le régime de M.Paul Biya est un régime totalitaire qui depuis 35 ans gouverne par la terreur et écrase sans pitié toute revendication ou manifestation publique dans le sang. Les récents événements qui ont eu lieu le 1er octobre dernier dans la zone anglophone du Cameroun en sont une parfaite illustration.
Alors que des milliers de manifestants sont sortis ce jour-là pour proclamer une indépendance symbolique du Cameroun anglophone, le pouvoir a utilisé les forces de l’ordre et de défense pour réprimer ces marches pacifiques qui ont eu lieu dans plusieurs localités de la partie anglophone du Cameroun.
Bilan, au moins 100 morts selon le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale et de nombreux blessés. Ce que votre département d’Etat a qualifié d’inacceptable.
Pourtant, les Anglophones du Cameroun ne font que réclamer leur droit à l’autodétermination (qui leur a été refusé par l’ONU et l’Angleterre en 1961) suite à des hold-up constitutionnels orchestrés par le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo d’abord et son successeur Paul Biya ensuite, lesquels ont remis en question de manière unilatérale la forme fédéraliste de l’État du Cameroun créé le 1er octobre 1961.
Monsieur le Président,
Si M.Paul Biya est toujours président de la République aujourd’hui, c’est à la faveur d’une modification de la disposition constitutionnelle sur la limitation des mandats présidentiels en avril 2008. Mais le septennat engagé par Biya en 2011 à la faveur de cette modification – et qu’il va sans doute renouveler en 2018 – se fonde sur une base complètement illégale car cette révision de la loi fondamentale a violé une de ses dispositions qui prescrivait qu’aucune forme de révision de la constitution ne doit porter atteinte aux principes démocratiques. Et l’un des principes qui a été remis en cause en l’espèce c’est l’alternance au pouvoir. Les États-Unis veulent-ils continuer de s’accommoder d’un pouvoir illégal ?
Les acteurs de la société civile et de l’opposition au Cameroun sont muselés et vivent dans un climat de persécutions. Toutes les réunions ou manifestations publiques organisées par les partis d’oppositions et les ONG locales même dans leurs sièges sont interdites par les autorités. L’ONG Dynamique Citoyenne en a fait plusieurs fois l’amère expérience tout comme les partis d’opposition qui envisageaient de manifester le 21 octobre dernier à Douala pour exprimer leur solidarité avec la minorité anglophone.
Placé dans un cercle vicieux, le citoyen camerounais n’a d’autre choix que l’autocensure, la résignation et la foi en la parole gouvernementale. Surtout que sa voix aux élections ne compte que pour du beurre. Le président camerounais a pris des dispositions pour que seuls lui et son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais, soient vainqueurs des élections : l’organe en charge de la gestion des élections est constitué en grande majorité des membres de son parti, la loi électorale est taillée à sa mesure.
Monsieur le Président,
En plus d’être un pays dirigé par un régime autoritaire, le Cameroun a également la réputation d’être une prison politique à ciel ouvert. Dans son dernier rapport sur l’état des droits de l’homme au Cameroun, le département d’État américain a reconnu l’existence des prisonniers politiques au Cameroun.
L’ancien ministre de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, est le seul qui a été maintes fois cité par le département d’État américain comme un prisonnier politique. Ce dernier, pour avoir dénoncé la volonté de Paul Biya de confisquer le pouvoir, pour avoir confié ses ambitions présidentielles aux diplomates américains en poste à Yaoundé a été arrêté, jeté en prison, jugé puis condamné à 20 ans de prison pour malversations financières sans la moindre preuve.
Marafa Hamidou Yaya n’est pas le seul détenu politique au Cameroun car il en existe d’autres recensés par l’ONG Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P), une organisation de la société civile basée en France et qui défend la cause des détenus politiques en Afrique centrale. Il s’agit de l’ancien Premier Ministre Inoni Ephraïm, des anciens ministres Jean Marie Atangana Mebara, Urbain Olanguena Awono, Polycarpe Abah Abah, de l’homme d’affaires Yves Michel Fotso, et des directeurs généraux de sociétés parapubliques Iya Mohamed et Zacchaeus Forjindam.
En prison depuis 5 à 10 ans sur la base de motifs ridicules et bidons de détournements de deniers publics, ces anciens hauts commis de l’État sont en réalité victime de leur charisme, de leur compétence et de leur intégrité qui ont amené Paul Biya et quelques membres de sa famille à les considérer comme des personnes gênantes ayant des ambitions politiques. Ce petit cercle familial qui détient et veut confisquer le pouvoir au Cameroun a créé un Tribunal criminel spécial (TCS) en 2011, qu’il utilise pour maintenir en prison le plus longtemps possible tout ce beau monde, malgré la vacuité de leurs dossiers judiciaires. D’autres anciens ministres ont été contraints de se réfugier dans des pays occidentaux fuyant de telles persécutions politico-judiciaires. Il s’agit de Dieudonné Ambassa Zang et d’Essimi Menye.
La crise anglophone en cours a également charrié une cinquantaine de détenus politiques parmi lesquels Mancho Bibixy, le plus emblématique d’entre eux. Ces derniers sont toujours jugés devant le tribunal militaire pour « terrorisme ». Sans oublier le notaire Abbdoulaye Harrisou et l’homme d’affaires Aboubakar Sidiki, accusés de vouloir nourrir un projet de former une rébellion. Un grossier montage qui en réalité visait Marafa Hamidou Yaya.
Monsieur le président,
Face à un pouvoir qui méprise l’être humain, face à un pouvoir qui manipulent les esprits faibles, qui terrorise, qui menace, qui emprisonne pour un oui ou pour un non, qui torture et qui tue, que doit faire le Camerounais si ce n’est interpeller l’opinion internationale? Que doit faire le Camerounais face à une dérive totalitaire si ce n’est interpeller la première puissance mondiale que sont les États-Unis pour un droit d’ingérence humanitaire ?
Les États-Unis et la communauté internationale vont-ils continuer à regarder d’un œil complaisant le pouvoir camerounais prendre en otage des millions de Camerounais juste pour avoir la mainmise sur les ressources minières et pétrolières du Cameroun, juste parce que le Cameroun est un État souverain ? La réponse étant négative, il vous revient au regard de ce qui précède, d’en tirer les conséquences qui s’imposent.
Michel Biem Tong
Web journaliste
Responsable du journal d’actualité des droits de l’homme hurinews.com
Correspondant du CL2P au Cameroun