Voilà une question à laquelle le Parti socialiste français a longtemps cherché une réponse, mais qu’il ne se pose plus depuis que le Tchad d’Idriss Déby Itno est devenu le meilleur allié de la France dans le Sahel : qu’est devenu l’ancien leader de l’opposition tchadienne, Ibni Oumar Mahamat Saleh ?
Cette figure de la gauche africaine n’a plus donné signe de vie depuis que des militaires sont venus le cueillir chez lui, le 3 février 2008.
À l’occasion du neuvième anniversaire de sa disparition, la Fondation Gabriel Péri se posera la question lors d’une conférence, le samedi 4 février à Paris (à 14 h, au siège de la fondation). Il y aura, dans le panel des intervenants, de quoi donner des boutons au régime tchadien…
Seront présent l’écrivain français proche de l’opposition Thomas Dietrich, qui fut arrêté l’année dernière au Tchad, puis expulsé ; le chercheur Roland Marchal, auteur il y a deux ans d’un rapport sans concession sur les relations entre Paris et N’Djamena ; l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Hissène Habré en exil en France, Acheikh Ibn Oumar ; mais aussi Brahim Ibni Oumar Mahamat Saleh, l’un des fils du célèbre opposant, qui vit en exil au Niger.
Âgé de 31 ans, ce dernier s’apprête à publier à Niamey un ouvrage intitulé Professeur Ibni, la Citadelle, retraçant le parcours de son père. Il revient pour Jeune Afrique sur une affaire qui continue de faire débat au Tchad et au-delà.
Jeune Afrique : Neuf ans après la disparition de votre père, quelles certitudes avez-vous ?
Brahim Ibni Oumar Mahamat Saleh : Aucune. Tout ce que l’on sait, c’est que Déby a ordonné son arrestation, qu’il a été torturé et qu’il en est mort. Mais nous ne savons rien d’autre, pas même où il a été enterré. Nous avons saisi le Comité contre la torture et le Conseil des droits de l’Homme [deux organismes des Nations unies, ndlr]. Et nous avons déposé une plainte à Paris en 2012, étant donné que la justice tchadienne avait établi un non-lieu, et que notre avocat, Me Padaré, est entre-temps devenu l’avocat de Déby. Le plus important pour nous est de pouvoir récupérer sa dépouille et lui offrir une sépulture. Nous sommes prêts à accorder notre pardon si Déby le demande.
Sa responsabilité ne fait pas de doute à vos yeux ?
Déby a été àl’école avec ma mère. On le connaît depuis longtemps. Je connais bien ses enfants. Lui aussi a perdu des membres de sa famille [sous Habré, ndlr]. Lui aussi a été une victime. Mais il est devenu à son tour bourreau. Il a une responsabilité morale et politique dans la disparition de notre père. Il doit faire son mea culpa pour tout ce qu’il a fait, contre notre père, et contre les Tchadiens.
A-t-il tenté d’entrer en contact avec vous ?
Il a rencontré deux de mes frères qui ont décidé de rentrer au Tchad [l’un d’eux a été nommé à la tête de Coton Tchad il y a quelques mois, ndlr]. Je ne leur en veux pas, c’est leur choix, ils sont majeurs. Mais j’ai une autre position.
La plainte déposée en France suit son cours
Où en est la plainte déposée en France ?
Elle suit son cours.
Pensez-vous qu’elle est freinée par les intérêts partagés de N’djamena et Paris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel ?
Je l’ignore. La France est engagée militairement aux côtés du Tchad dans la lutte contre le terrorisme. C’est important, il faut combattre ce mal. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des droits de l’Homme.
Votre père était proche d’Ibrahim Boubacar Keïta, de Mahamadou Issoufou, d’Alpha Condé, de Roch Marc Christian Kaboré… Tous sont au pouvoir aujourd’hui. Qu’entreprennent-ils pour vous soutenir dans votre combat ?
Oui, tous étaient des amis de mon père. Issoufou lui est resté fidèle. Il nous a ouvert ses portes, à moi et à ma mère, et nous a accueillis chez lui. Aujourd’hui, mon père est considéré comme un Nigérien par les Nigériens eux-mêmes. Et je suis toujours en contact avec les autres : IBK, Roch, Salif Diallo [le président de l’Assemblée nationale burkinabé, ndlr]… Ils nous ont aidé. Après, il y a la realpolitik, je le comprends, même si je poursuivrais mon combat pour que la vérité éclate.
La disparition de mon père est un crime d’État, couvert par la raison d’État
Dans la préface de l’ouvrage que vous consacrez à votre père, vous dénoncez le « mutisme » et le « silence » autour de sa disparition. Comme l’expliquez-vous ?
C’est un crime d’État, couvert par la raison d’État. Comme l’affaire Ben Barka.
Vous êtes membre du Mouvement du 3 février, parti d’obédience ibniste. De quoi s’agit-il ?
C’est un mouvement de la jeunesse basé au Tchad, et membre de l’Union internationale de la jeunesse socialiste. Il a été créé pour garder vivace la mémoire et l’action d’Ibni. Comme le lumumbisme, comme le sankarisme, l’ibnisme a aujourd’hui une résonance auprès de la jeunesse africaine. Notre mouvement défend les droits de l’Homme et le progrès social.
Par Rémi Carayol – Jeune Afrique