À quelques semaines du scrutin, les fichiers électoraux sont maintenant disponibles. Ils sont si invraisemblables qu’on ne peut les consulter sans se prendre la tête. Il faut dire qu’ils concernent un vote où des candidats sont triés sur le volet et les chiffres déterminés au gré du prince. Les fichiers électoraux ! Après les génocides, les pandémies et les coups d’État, les voilà, les nouveaux maléfices qui hantent le continent. C’est sur ces tablettes-là que les charlatans du troisième mandat ont décidé de nous monter la cabale. Et le résultat est stupéfiant pour ne pas dire abracadabrantesque.
À chaque potentat sa ruse
Il suffit pour s’en convaincre de regarder ce qui se passe en Côte d’Ivoire et en Guinée, les deux pays qui nous occupent en ce moment du fait de leurs prochaines et fort contestées élections présidentielles. Alassane Ouattara a-t-il le droit de briguer un troisième mandat ? Laissons à l’Histoire le soin de trancher sur cette question qui n’aurait pas dû se poser et contentons-nous de nous étonner du nombre restreint pour ne pas dire ridicule des candidats qu’il a autorisés à concourir ! 4 sur 44, un résultat à la sonorité si juste, j’allais dire si musicale, qu’on se doute bien qu’il est tout sauf le fruit du hasard.
Pour une raison ou pour une autre, Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Marcel Amon-Tanoh, Albert Mabri-Toïkeusse, Mamadou Koulibaly, bref tous les éléphants de l’opposition ont été mis sur la touche. Le premier, pour un braquage de la Cedeao commis… en décembre 2010, le second pour détournement de fonds. On devine que si Konan Bédié ne pliait pas déjà sous le poids de l’âge, on l’aurait affublé du crime de Caïn et du péché d’Ève.
C’est comme si aux Jeux olympiques, Carl Lewis et Usain Bolt avaient eux-mêmes choisi leurs concurrents
De l’art de garder le pouvoir pour soi, rien que pour soi
La balle du pouvoir, on ne la passe pas, on la garde pour soi surtout sous les doux cieux d’Afrique ! À chacun, sa ruse : Alassane Ouattara joue sur le nombre de candidats, Alpha condé, sur celui des votants ! En 2015, le fichier électoral guinéen comptait 7 764 130 inscrits soit, tenez-vous bien, 62 % de la population totale ! Ce pourcentage n’est que de 41,23 % au Sénégal et de 31 % en Côte d’Ivoire ! L’audit conduit par l’OIF, l’Union européenne et l’ONU a révélé que ce fichier comportait près de 5 000 000 d’électeurs douteux. Depuis, officiellement et sur recommandation de la Cedeao, plus de 2 500 000 ont été rayés de la liste. Ce fichier a-t-il vraiment été nettoyé ? On en doute au vu des chiffres enregistrés entre 2010 et 2020. On peut légitimement se demander par quelle anomalie génétique la fertilité des Guinéennes est directement proportionnelle aux intérêts électoraux du sieur Condé. Dans les préfectures qui lui sont favorables comme Kankan, Mandiana et Siguiri le nombre d’électeurs s’accroît respectivement de 76 %, 141 % et 167 %. Alors qu’à Télimélé, Mali et Tougué, fiefs de l’opposition, elle atteint péniblement 0,51 %, 4,32 % et 4,41 %. C’est ce fichier que, sans rire, la communauté internationale a reconnu. C’est sur la base de ce document-là que se dérouleront les élections du 18 octobre.
Rangez vos armes, militaires du Mali et d’ailleurs ! Suivez le manuel du parfait démocrate : « Violer la Constitution, choisir ses propres concurrents et surtout, distribuer les cartes d’électeur à la tête du client. » Vous régnerez alors sans blâme et sans partage. Pour parler comme de Gaulle, aucun « machin » ne vous traitera de putschiste !
* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex aequo, pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.