Il le disait lui-même : « Ils feront tout pour m’arrêter. » Il parlait de la modification de quelques articles de la loi électorale, taillée à la hâte par la présidence du gouvernement, afin de l’empêcher de se présenter à la présidentielle. Le Parlement a voté au forceps ces amendements controversés, contestés par la société civile. Béji Caïd Essebsi, peu de temps avant sa mort, a refusé à la dernière minute de signer ce changement des règles du jeu. BCE était contre l’exclusion. Puis Karoui a officialisé sa candidature à la présidence de la République le 2 août. L’Isie, l’instance électorale, a retenu son dossier. Dans son bureau, il disait au Point craindre « une arrestation afin de le stopper », voire craindre « pour sa vie ». Il était protégé par un membre de la garde présidentielle ainsi que par des gardes du corps recrutés par ses soins. Récemment encore, en visite à Siliana, il confiait au Point que « le chef du gouvernement était prêt à tout pour lui barrer la route ». Vers 17 heures, son Land Cruiser a été stoppé par une trentaine de véhicules de police au niveau de Medjez el-Bab, péage fixé sur l’autoroute menant à Beja. Son équipe de campagne est ce soir sans nouvelles de son frère, Ghazi, candidat aux législatives à Bizerte. « Il est injoignable, il a disparu », nous disait sa directrice de campagne.
Un homme de médias reconverti dans le caritatif
Il revenait de Beja, il y avait inauguré le local de son parti Au cœur de la Tunisie, puis visité plusieurs localités marginalisées de ce gouvernorat du nord-ouest. Depuis deux ans et demi, Nabil Karoui sillonne le pays au profit de l’association Khalil Tounes. Khalil est le prénom de son fils décédé dans un accident de voiture il y a trois ans. L’homme de médias s’est alors lancé dans le caritatif, organisant des « caravanes humanitaires et solidaires » dans toutes les régions du pays. Distributions de produits alimentaires, de matériels de bases, installation d’hôpitaux de campagne pendant deux ou trois jours afin de dispenser de multiples spécialités aux nécessiteux. Il a ainsi acquis une forte popularité. Nessma TV, la chaîne qu’il a fondée avec son frère, retransmettait ces vastes opérations. Il a alors été accusé de faire du « charity business » à des fins politiques. Il faisait campagne sur le thème de la lutte contre la pauvreté arguant que « la situation économique s’était dégradée au point que les gens ont besoin de manger maintenant ». Au mois de mai, l’institut Sigma Conseil le créditait de 30 % d’intentions de vote au premier tour. Le 6 août, d’autres sondages, distribués sous le manteau, lui accordait 24 %, loin devant Kaïs Saïed, le numéro deux, avec 15 %.
Accusations d’évasion fiscale
Il y a trois ans, l’association I Watch publiait une enquête accusant Ghazi et Nabil Karoui d’évasion fiscale et de blanchiments d’argent. Le dossier était depuis ouvert. Il s’est accéléré à la publication des sondages le pointant en tête aux législatives et à la présidentielle. Au Point, il expliquait « avoir créé des sociétés de communication dans de nombreux pays, en Afrique et dans les pays du Golfe », étant devenu un spécialiste du lancement des compagnies de mobiles : de la Mauritanie à l’Arabie saoudite. Après l’annonce de sa candidature, ses avoirs et ceux de son frère ont été gelés, assorti d’une interdiction de voyager. Son arrestation à grand spectacle provoque de très nombreuses réactions. Certains évoquent une « justice politique » afin d’empêcher Karoui de devenir président de la République. À suivre.
Par notre correspondant à Tunis, Benoît Delmas