La chronique des violences en République centrafricaine (RCA) donne le tournis, dans une relative indifférence et une totale impunité des auteurs malgré la gravité des crimes contre l’humanité commis dans le pays depuis des années. Pour le seul mois de mai, l’ONU a comptabilisé, jeudi 25 mai, « environ 100 000 nouveaux déplacés, 200 blessés et 300 morts » après des attaques sur les localités d’Alindao, Bangassou, Mobaye et Bria. Le pays est entré dans un nouveau cycle de violences dont on ne peut prédire l’issue. Un de plus, peut-on dire sans se tromper. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le « Mapping des violations graves du droit international des droits de l’homme et du droit international, humanitaires commises sur le territoire de la RCA de janvier 2003 à décembre 2015 », rendu public mardi, à Bangui.
Ce rapport de 386 pages demandé par le Conseil de sécurité de l’ONU résulte d’une enquête menée entre le 11 mai 2016 et le 31 mars de l’année suivante. Il ne comporte pas de scoop à proprement parler. L’objectif était de « collecter des informations de base et non de se substituer à des enquêtes approfondies sur les incidents découverts » tout en « mettant l’accent sur les auteurs de ces violations » et de proposer des mécanismes de justice pour mettre fin à l’impunité ainsi que de lister des axes prioritaires pour les futures enquêtes.
Violences sexuelles systématiques
Le résultat est alarmant. Une suite quasiment ininterrompue de crimes commis dans ce vaste pays dont l’histoire est marquée « par une pauvreté chronique, des tensions ethniques, une instabilité politique généralisée, la corruption et le népotisme – facteurs qui ont favorisé une succession de conflits armés », rappellent les auteurs du rapport. Ce récit dramatique est découpé chronologiquement en partant de la chute d’Ange Félix Patassé en 2003, puis, jusqu’en 2008, la période de contestation violente du pouvoir de François Bozizé, la faillite du processus de paix qui s’en est suivi, ponctuée par la prise de pouvoir par les rebelles de la Séléka en 2013 et les ripostes des anti-Balaka.
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La compilation de quelque 620 incidents graves – liste non exhaustive – montre qu’aucune partie, à chaque époque, n’a eu le monopole de la violence. Tous les camps – aussi bien les forces armées régulières que les innombrables mouvements rebelles prospérant dans le chaos centrafricain, voire « dans une moindre mesure des forces armées étrangères opérant dans le pays », tchadiennes notamment – se sont rendus coupables de ce que le rapport décrit comme pouvant relever de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité : exécutions sommaires, violences sexuelles systématiques, pillages, incendies de villages, enrôlement d’enfants et de mercenaires, tortures, déplacements forcés, violation des droits politiques… Tout cela dans la plus parfaite impunité.
Toutefois, il ressort de cette comptabilité macabre que ces crimes n’ont jamais été si nombreux que lors de la dernière séquence ouverte en 2012 avec l’apparition de la Séléka, coalition de groupes rebelles majoritairement composés pour la plupart de Goula et de Rounga, deux communautés musulmanes du nord du pays. Cette période rassemble 361 incidents documentés sur les 632 retenus au cours de treize années. Ce conflit dégénéra plus encore avec l’apparition des anti-balaka, des milices d’autodéfense faisant la chasse aux Séléka et à l’essentiel des musulmans jugés complices des crimes de ces derniers. Aujourd’hui, le pays est globalement divisé en deux. Le sud et l’ouest aux mains des anti-balaka tandis que la Séléka contrôlait la plupart des régions de l’est et du nord.
« Dynamique autodestructrice »
Le bilan est lourd : 3 003 civils tués entre décembre 2013 et octobre 2014. Des centaines de milliers de personnes déplacées dans un pays un peu plus vaste que la France mais qui ne compte que 4,5 millions d’habitants.
« Face au nombre accablant de violations graves commises sur le territoire de la République centrafricaine, la réponse des gouvernements successifs s’est souvent avérée inappropriée et l’impunité a prévalu [contribuant] à alimenter les conflits armés cycliques », conclut le rapport. Il est dommage que le rapport n’évoque pas la réponse tout aussi « inappropriée » apportée par les différentes missions de l’ONU déployées en RCA durant toute la période couverte, ni le rôle de l’ancienne puissance coloniale française.
Comment en effet rompre le cycle de violences dans le cadre d’un pays où l’Etat n’est pas seulement failli mais également un fantôme tant son autorité et sa présence ne dépassent guère les frontières de la capitale ? Bangui ? Le Projet Mapping se félicite de la promulgation en juin 2015 d’une loi portant création d’une cour pénale spéciale avec mandat d’enquêter, de poursuivre et de juger les crimes résultant de violations graves des droits de l’homme. La mise en oeuvre de cette loi rencontre toutefois de nombreux obstacles. La faiblesse politique des nouvelles autorités élues en 2016 et le nouveau cycle de violences amorcé depuis quelques mois pourraient bien l’enterrer définitivement, continuant d’alimenter « cette dynamique autodestructrice » dénoncée par l’ONU et qui ne cesse d’entraîner la République centrafricaine vers le fond.