Question peut-être impertinente: mais un “sommet Afrique-France”, pour faire quoi? Quelle importance pour les Peuples d’Afrique et le continent en général?
Un sommet Europe-Afrique aurait tout son sens économique et politique, là où cette concertation entre la France et certains des dirigeants francophones les moins fréquentables de la planète renvoie inévitablement l’image d’une ancienne puissance coloniale désespérément soucieuse de maintenir une partie du continent en hors des radars du monde intégré, donc de l’économie mondialisée.
Les Africains – qui ont en masse manifesté contre le Franc CFA dans tous les recoins du globe – n’en veulent clairement plus.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Franc CFA : la controverse continue
Une manifestation contre le franc CFA, monnaie commune à quinze pays francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre, a eu lieu samedi à travers plusieurs capitales du continent et d’Europe. Selon les organisateurs qui se sont baptisés « les panafricains », il s’est agi d’une journée internationale de mobilisation « de Paris à Dakar en passant par Abidjan, Ouidah, Londres et Bruxelles… pour se défaire de cette monnaie postcoloniale ». Cet événement « inédit et historique », mené par un « front contre le franc des colonies françaises d’Afrique (CFA) », s’est concrétisé à travers des conférences pour dénoncer « les effets pervers du franc CFA » et réclamer « la fin de la servitude monétaire ».
Franc CFA, monnaie controversée
Le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’Ivoirien Tiémoko Koné Meyliet avait affirmé le 23 novembre dernier que le franc CFA « pouvait continuer à servir les économies » des quinze pays qui l’utilisent, rejetant les critiques sur son caractère « désuet ». Créée en 1939, la zone franc est un espace économique et monétaire d’Afrique subsaharienne, où vivent 155 millions d’habitants. Elle comprend 14 pays d’Afrique subsaharienne, dont 8 ont pour institut d’émission la Bceao, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger,le Sénégal, le Togo, et 6 ont pour institut d’émission la Béac (Banque des États d’Afrique centrale), à savoir le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Centrafrique et le Tchad. Au-delà, il y a un quinzième membre, l’archipel des Comores.
La monnaie commune à cette zone est depuis 1945 le « franc CFA », qui signifie « franc de la communauté financière africaine » dans l’Uémoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) et « franc de la coopération financière en Afrique centrale » dans la Cémac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). Le « CFA », autrefois arrimé au franc français, dispose d’une parité fixe avec l’euro. Ce lien fort est considéré par beaucoup comme un gage de stabilité.
Par Clémence Njanjo (avec AFP) | Le Point Afrique
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« Un sommet Afrique-France ? Pourquoi pas, mais, de grâce, pas au Mali ! »
Le sommet Afrique-France se tiendra à Bamako les vendredi 13 et samedi 14 janvier. Si le débat sur l’utilité d’un tel sommet est légitime, ce qui me dérange le plus, c’est de le voir se tenir au Mali. Le Mali incarne à lui seul le mal qui ronge la sous-région : un pouvoir politique qui a fait de l’incurie sa marque de fabrique, une clique de kleptocrates qui ont mis en coupe réglée le pays et les logiques mafieuses qui sont désormais les seules qui prévalent dans tous les secteurs d’activité au Mali.
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On pourrait qualifier le Mali de failed State, « Etat failli », mais je préfère parler de fake State, « un semblant d’Etat ». Le pouvoir malien a cultivé l’art de sauver les apparences, apparences au-delà desquelles la communauté internationale ne va pas. Le président Amadou Toumani Touré (ATT, 2002-2012) excellait dans cet art, bien servi il est vrai par les griots de la communauté internationale qui chantaient ses louanges. Aujourd’hui l’actuel président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), bénéficie des services d’un griot en chef prestigieux : François Hollande.
Essai non transformé
Le président français veut faire du Mali un exemple de la réussite de sa politique internationale. La décision d’intervenir militairement en janvier 2013 était sans nul doute une décision courageuse. Malheureusement, l’essai ne fut pas transformé à cause d’une absence totale de vision politique. Une opération militaire ne peut pas être un objectif en soi, une victoire militaire ne sert à rien si elle n’est pas le moyen d’atteindre un objectif politique.
Donc, une fois les djihadistes éparpillés, l’opération « Serval » a été rebaptisée, avec un mandat plus large, opération « Barkhane », les casques bleus ont débarqué au Mali et aujourd’hui le résultat est sans appel : le nord du pays est désormais hors contrôle.
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Cette situation n’est pas que la conséquence d’une absence de vision politique de la part de la France. Elle est aussi et surtout de la responsabilité des autorités politiques à Bamako qui ont failli. Le peuple malien a confié en 2013 les rênes du pays à IBK dans le cadre d’une élection dont le résultat final ne peut être contesté. Aujourd’hui cette légitimité politique a disparu car le pouvoir politique a tout simplement renoncé à incarner l’intérêt national. Les « logiques patrimoniales », pour reprendre l’expression de Jean-François Bayart, ont pris le dessus sur toute autre considération, la kleptocratie érigée en mode de gouvernance.
Cette « gouvernance » n’est pas l’apanage du seul Mali. Le Niger et la Mauritanie, pays voisins du Mali, souffrent du même mal et, pour ce qui est du Niger, il bénéficie du même griot en chef, François Hollande. Le plus frappant, c’est le fossé qui existe entre la cécité du pouvoir politique français concernant la réalité de la situation politique dans la bande sahélienne et la perception qu’ont les opinions publiques africaines de leurs propres dirigeants.
Opinions publiques écœurées
Ces opinions publiques, écœurées, en particulier la jeunesse africaine, constatent que la France en particulier, la communauté internationale en général sont complices de ces pouvoirs kleptocrates. D’ailleurs, plus ces élites politiques faillissent, plus la générosité internationale déverse des milliards d’euros, une prime à l’incurie en somme. C’est ce qui a miné la légitimité de la coalition internationale qui a soutenu de manière indéfectible le régime outrancièrement corrompu d’Amid Karzaï en Afghanistan.
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Je me demande donc ce que pourra être le discours du président François Hollande lors de ce sommet : va-t-il continuer à faire le griot d’IBK et insulter l’intelligence des opinions publiques africaines ou va-t-il saisir cette opportunité pour un discours courageux ? La deuxième option ne consiste pas à juger ou à critiquer publiquement les autorités politiques du Mali. La France n’en a pas le mandat juridique ni le mandat moral. Il s’agit plutôt de rappeler que la France ne peut continuer à essayer de sauver un pays si ses dirigeants ne sont pas les premiers à mener ce combat. Il s’agit de rappeler aux peuples africains qu’ils sont les réels détenteurs du pouvoir et que ce sont eux, pour reprendre le programme du mouvement citoyen sénégalais Y en a marre, qui façonneront le NTA, le Nouveau Type d’Africain. La France et la communauté internationale n’ont pas ce pouvoir. Il leur revient juste de choisir leur camp. Si on me demande un avis, je leur recommanderai plutôt celui des peuples.
Laurent Bigot est un ancien diplomate français devenu consultant indépendant.