Une élection peut-elle être libre et transparente quand le président sortant est candidat ? Beaucoup de démocrates africains en doutent. C’est pourquoi ils se battent contre le principe du troisième mandat. Alors, à quoi bon être observateur électoral dans ce type de scrutin ? Maurice Enguéléguélé veut croire que c’est encore utile. Ce diplomate français, qui a enseigné longtemps au Cameroun, est aujourd’hui le sous-directeur Afrique de l’International IDEA, l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale, un organisme intergouvernemental dirigé par l’ancien Premier ministre belge Yves Leterme. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
La lutte de nombreux démocrates africains contre le principe du troisième mandat, est-ce que ce n’est pas le signe que de nombreux Africains n’ont plus confiance dans les processus électoraux classiques parce qu’ils estiment que c’est les fraudeurs qui gagnent ?
Maurice Enguéléguélé : Je suis d’accord avec vous. Il y a un problème de crédibilité et de sincérité des processus électoraux qui se pose dans plusieurs pays. Et c’est là, justement, le champ, la fenêtre d’opportunité dans lequel International Idea intervient pour renforcer la crédibilité des processus électoraux, pour renforcer la participation citoyenne.
Alors on pense évidemment au cas du Burkina Faso l’année dernière. Est-ce que ce n’est pas la preuve que tous les efforts que vous faites pour que les élections soient crédibles, ça ne suffit pas à gagner la confiance des populations ?
Je crois que c’est la preuve que nous devons renforcer notre action pour créer des convergences politiques entre les pouvoirs et les populations dont la voix doit être de plus en plus entendue et dont les capacités à se faire entendre doivent être de plus en plus renforcées.
Contre le troisième mandat, la rue a gagné l’an dernier à Ouagadougou. Mais contre le troisième mandat, est-ce que la rue n’est pas en train de perdre la partie cette année à Bujumbura et à Brazzaville ?
Les faits nous font comprendre malheureusement sur ce point que la rue est en train de perdre. Le référendum au Congo-Brazzaville d’il y a quelques jours pose un problème de crédibilité. A Bujumbura, nous connaissons la situation qui persiste depuis plusieurs mois. Je crois que pour autant, nous ne devons pas désespérer. Nous devons continuer à développer une action pour produire des convergences pour arriver à ce que ce troisième mandat-là ne soit plus un problème et que l’alternance politique soit finalement quelque chose de normal.
Et pourquoi les adversaires du troisième mandat ont-ils réussi l’an dernier au Burkina et sont-ils peut-être en train d’échouer cette année au Congo-Brazzaville et au Burundi ?
Au Burkina Faso, nous avons eu une mobilisation très forte en faveur du respect des principes constitutionnels posés, qui voulait qu’on ne fasse pas un troisième mandat. Au Congo, il y a eu plutôt une marge d’action, une marge de manœuvre qui a été laissée au pouvoir politique pour organiser le référendum.
Voulez-vous dire que l’opposition congolaise est moins forte que l’opposition burkinabè ?
Je crois qu’elle a des capacités de mobilisation qui sont peut-être un peu moins importantes que celles du Burkina Faso.
Et la société civile, est-elle différente d’un pays à l’autre ?
Oui, il faut absolument rompre avec le mythe d’une société civile uniforme et unique pour les pays africains. Et nous International Idea, nous en sommes bien conscients, nous qui travaillons au renforcement des capacités de ces sociétés civiles là.
Vous qui avez longtemps enseigné au Cameroun, voyez-vous une différence entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ?
Fondamentale ! Je vous dirais qu’en Afrique de l’Ouest, la démocratie est complètement d’actualité. Du reste, les derniers classements internationaux classent la région CEDEAO comme la première en matière de progression de gouvernance démocratique, alors que l’Afrique centrale pose beaucoup de problèmes.
Et le Cameroun ?
Le Cameroun est l’un des pays pour lesquels il y a des interrogations en effet.
Est-ce que vous diriez qu’au Cameroun, la dernière élection présidentielle a été crédible ?
Au Cameroun, nous avons eu beaucoup de problèmes de sincérité et de crédibilité des processus électoraux malgré les nombreux efforts qui sont faits et nous essayons en permanence d’améliorer les processus quand nous y intervenons.
Alors vous essayez de rendre les scrutins plus transparents d’une fois sur l’autre, en réalité est-ce que ce n’est pas le contraire qui arrive ? Est-ce que les fraudeurs n’utilisent pas des techniques de plus en plus sophistiquées, notamment en amont, lors de la fabrication des fichiers, lors de la distribution des cartes électorales ? Et est-ce que ce n’est pas vous qui perdez du terrain d’une élection à l’autre ?
Je crois que nous ne perdons pas de terrain parce que nous développons une action qui se déroule tout au long du processus électoral. Nous intervenons en amont, nous intervenons pendant et nous intervenons après le processus électoral. Et nous avons développé des outils de gestion et de prévention des risques qui anticipent, qui essaient d’anticiper au maximum les fraudes ou les techniques de fraudes qui peuvent être mises en place. Ce sont ces outils-là que nous mettons à disposition gratuitement des commissions électorales nationales qui le souhaitent, des organisations de la société civile qui le souhaitent, mais aussi des pouvoirs politiques qui le souhaitent.
Vous n’avez pas le sentiment que les fraudeurs ont souvent une longueur d’avance sur vous ?
Les fraudeurs ont toujours une longueur d’avance, mais c’est aussi aux organes de prévention des fraudes d’essayer d’anticiper, d’avoir une action proactive afin de pouvoir contrôler ces fraudeurs-là justement.
Et cette vague de victoires du président sortant dès le premier tour comme on le voit depuis plusieurs années au Tchad, au Cameroun, et tout récemment en Guinée Conakry. Ce fameux « un coup KO », est-ce que ce n’est pas le signe qu’aujourd’hui les techniques de verrouillage électoral sont de plus en plus sophistiquées, de plus en plus puissantes ?
Il est clair qu’aujourd’hui, il y a une primo sortante qui est très forte et que les oppositions ont beaucoup moins de moyens que ceux qui sont au pouvoir pour gagner des élections.
La primo sortante, n’est-ce pas aussi l’État qui se met au service du sortant, à savoir les fonctionnaires, les administrateurs locaux, les distributeurs de cartes électorales ?
C’est l’un des éléments sur lesquels nous travaillons justement, établir une neutralité de l’État par rapport aux sortants.
Et franchement, ça marche ?
Nous avons des exemples où ça marche, mais effectivement nous avons plus de travail que de réponses satisfaisantes pour l’instant.
Donnez-moi un exemple où ça marche ?
Le Cap-Vert, par exemple.
Oui, mais n’est-ce pas une exception ?
Non, parce que nous avons d’autres pays où ça marche également. Le Nigeria nous a donné un parfait exemple, malgré toutes les craintes que nous pouvions avoir.
Alors en effet, il y a eu alternance au Nigeria au début de cette année ? A quoi ça tient ?
Ça tient à trois éléments, ce que nous appelons un peu « le triangle magique » : une volonté politique de respecter les règles du jeu politique, volonté claire du sortant, des institutions fortes, une commission électorale indépendante forte et enfin une société civile active et vibrante qui a contribué à accompagner le processus politique dans un contexte qui n’est pas donné pour simple au départ.
Quand vous dites volonté politique, ça veut dire acceptation par le sortant du principe qu’il peut perdre cette élection ?
Exactement. Vous savez bien qu’il y a eu un accord entre le sortant de l’époque, le président Goodluck Jonathan, et le nouveau président actuel, Muhammadu Buhari, pour respecter les résultats des urnes quels qu’ils soient.
Source : RFI – Invité Afrique – Un vote peut-il être libre quand le président sortant est candidat?