Maître Claude Assira se prononce: la notion de «complicité intellectuelle» me laisse sceptique
Me Claude Assira (photo): «L’exécutif utilise souvent l’opération Epervier à des fins purement politiciennes de propagande, d’intimidation ou de vindicte».
De l’affaire YM Fotso, l’avocat dit: « Après avoir épuisé la première condamnation à vie, il ressuscitera et reviendra exécuter la 2ème. C’est un peu absurde tout ça! » Resté inscrit au Barreau de Paris, il y a exercé de nombreuses années avant de s’inscrire au Barreau du Cameroun où il est désormais installé. Il est par ailleurs Maître de Conférences à l’Université catholique d’Afrique Centrale et auteur d’ouvrages de droit et sur la justice. Il se prononce ici sur des sujets d’actualité comme l’affaire Atangana Mebara, Yves Michel Fotso, Marafa Hamidou Yaya et bien d’autres…
-Les peines de l’opération Epervier sont souvent jugées disproportionnées. Cas d’Yves Michel Fotso qui a écopé d’une double peine d’emprisonnement à vie. Avouez que c’est une grande première. On dirait de l’acharnement. Ce serait ridicule s’il ne s’agissait pas d’un drame…humain?
Après avoir épuisé la première condamnation à vie, il ressuscitera et reviendra exécuter la 2ème et il ne doit pas oublier de ressusciter à nouveau car, il y a aussi la condamnation à vingt (20) ans de la cour suprême. C’est un peu absurde tout ça!
Les peines sont délibérément disproportionnées. Mais, c’est l’arbre qui cache la forêt. Ce qui est encore plus choquant dans le cas que vous signalez, c’est l’usage de la disjonction. J’ai déjà eu l’occasion de décrier cette pratique. Beaucoup de ces affaires qui auraient pu être jugées en une seule procédure devant la même juridiction sont saucissonnées pour garantir les condamnations spectaculaires successives, histoire de faire parler dans l’opinion et donner en trompe-l’œil à croire à la continuité et à l’efficacité du système de protection de la fortune publique.
– Marafa Hamidou Yaya a été condamné à 25 ans de prison pour «complicité intellectuelle». À quoi renvoie cette notion en droit pénal?
L’auteur intellectuel existe bien dans le jargon juridique. C’est l’hypothèse de celui qui conçoit le crime et le fait faire par autrui. Mais, jusqu’ici, il m’avait semblé que la complicité, elle, exigeait un acte positif de complicité qui implique que le complice ait aidé ou assisté de façon concrète l’auteur de l’infraction et qu’il l’ait sciemment fait, en sachant que c’est ce crime-là qui serait commis. Je ne vois donc pas comment un acte purement «intellectuel» peut constituer un acte «positif» susceptible de constituer un élément de la complicité.
Cependant, ne connaissant pas le dossier Marafa qui aurait dû donner lieu à une procédure unique avec celle de mon client (l’ancien Sécrétaire général à la Présidence Jean-Marie Atangana Mebara), mais, qui a été disjoint pour aboutir au jugement séparée de l’infraction présumement consommée et de l’infraction présumement tentée, je ne veux rien dire qui risque d’être inexact. Cette pratique qui s’est poursuivie encore devant la Cour suprême où, les divers protagonistes convoqués fortuitement à la même audience où ils avaient pourtant la chance d’être confrontés pour qu’éclate enfin la vérité ont été à nouveau «disjoints» me pousse au scepticisme sur la pertinence de la notion de «complicité intellectuelle».
– Son recours à la Cour suprême a ramené la peine à 20 ans de prison. Est-ce la fin? La justice camerounaise offre t-elle d’autres voies de recours? D’autres possibilités au niveau africain ou international s’ouvrent-elle à lui? Si oui, le Cameroun ne pourrait il pas arguer de sa souveraineté pour ne pas tenir compte d’une intervention des instances internationales?
Je réponds bien volontiers à ce genre de question, lorsqu’il s’agit de personnes dont j’assure la défense et avec lesquelles je partage la réflexion sur la meilleure défense à adopter. Mes Confrères chargés des intérêts de Monsieur Marafa aviseront.
-Atangana Mebara vient d’avoir gain de cause au niveau de l’UA, des procès qui lui sont imposés par les cours et tribunaux du Cameroun. Il est explicitement dit qu’il a été victime de «détention arbitraire». Quel est la suite de l’affaire, au cas où le Cameroun n’obtempérait pas?
Les décisions de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples de l’union Africaine n’ont qu’un caractère recommandatoire. En d’autres termes, elles ne sont pas assorties du caractère coercitif qui aurait pu conduire à leur exécution forcée. Cela étant, en adhérant librement à la Charte de l’Union africaine qui a institué cette Commission, le Cameroun a pris librement l’engagement international solennel de se conformer à ses décisions. De quelle autre force que celle de son engagement personnel peut-on encore avoir besoin pour «obtempérer»? Voyons donc les choses plutôt avec espoir; moi, je refuse, qu’alors que l’encre de la décision n’est même pas encore fraîche, on commence déjà à spéculer sur son non-respect par le Cameroun.
– Quels sont les délais prescrits dans ce genre d’affaire, avant que l’ex-secrétaire général à la présidence recouvre sa liberté?
Le délai est de 180 jours et la Commission a pris le soin de le rappeler explicitement aux autorités camerounaises dans sa décision.
– Cette injonction africaine ne sonne-t-elle pas comme un désaveu qui va grandissant de la justice camerounaise, après les cas Edzoa Titus, Michel-Thierry Atangana et bien d’autres?
La vérité est qu’il n’était pas besoin de tant de décisions pour comprendre que le Cameroun est malade de sa justice. Il suffit d’écouter et de compiler les discours solennels des Premiers présidents successifs de la Cour suprême pour comprendre à quel point le mal est profond: lenteurs judiciaires, erreurs judiciaires, problèmes éthiques (corruption, tribalité, etc.), manque d’indépendance organique et fonctionnelle, etc. Il faut juste souhaiter que cette décision de la Commission Africaine ne soit pas une de plus à ranger dans une poubelle par les autorités compétentes car, à force, ça finit par donner une opinion fort dégradée et peu rassurante de notre pays qui pourtant se veut être une terre d’investissement et de liberté. La sécurité juridique et judiciaire est nécessaire à la paix sociale et à l’essor économique.
– La liberté devant être la règle et la détention l’exception, comment expliquer que les prévenus de l’opération épervier ne puissent presque jamais comparaître libres, alors que les accusés peuvent mieux pourvoir à leur défense lorsqu’ils sont en liberté? N’est ce pas ce qui explique que certains se soient soustraits à la justice par l’exil, craignant des détentions longue durée comme le cas Abah Abah et bien d’autres?
«La liberté est la règle…» C’est une belle formule. Mais, quelle que soit la beauté d’une formule, lorsqu’elle n’est pas concrètement mise en œuvre par un ensemble de moyens, elle reste confinée au rang de slogan creux. Les autorités de poursuite, qu’elles soient administratives ou judiciaires, doivent s’approprier les principes de justice et les intégrer dans leur mode de jugement. Cette mue-là reste difficile à faire. Et il faut dire qu’elles ne sont pas aidées par l’exécutif qui utilise souvent l’opération Epervier à des fins purement politiciennes de propagande, d’intimidation ou de vindicte. Je suis plus réservé sur la justification de l’exil, car, outre l’impossibilité de présenter sa vérité, la fuite s’apparente souvent dans l’opinion à un aveu de culpabilité. Ceux qui ont exercé de hautes fonctions doivent respecter la justice de leur pays qu’ils n’ont pas souvent aidée à être meilleure.
– Faudrait-il alors recourir à l’arbitrage international pour que les droits des justiciables soient reconnus? Affaire Atangana Mebara, mais aussi Edzoa Titus, Paul Eric Kingue et j’en passe?
On ne peut avoir recours à l’arbitrage que dans les cas prévus par la loi; or, en matière de droits de la famille (divorce, reconnaissance, etc.), en matière de droit du travail, en matière pénale, par exemple, l’arbitrage n’est pas admis. On aura donc encore recours à la justice étatique. Elle a donc le plus grand intérêt à faire sa révolution. Le plus tôt serait le mieux. Il y a en jeu, non seulement des questions de prestige national, mais aussi, des questions de confiance et de sécurité des investisseurs.
– Vous avez signé en collectif, un livre paru en 2011. «Opération Epervier, un devoir d’injustice», croyez vous toujours qu’il s’agit en gros de règlements de comptes politiques?
Oui. Comme je vous l’ai dit plus haut, le pouvoir politique utilise souvent l’opération Epervier à des fins purement politiciennes de propagande, d’intimidation ou de vindicte. Malheureusement, ce dévoiement se fait au détriment de l’efficacité et de la lisibilité de la lutte contre les atteintes à la fortune publique. Quand on rajoute au tableau que les mesures simples qui auraient pu prévenir lesdites atteintes, telles que la déclaration de patrimoine de l’article 66 de la Constitution, le contrôle systématique des ordonnateurs, l’augmentation du pouvoir de poursuite du Procureur de la république, l’institution du crime d’enrichissement illicite, et bien d’autres encore sont délibérément ignorées ou négligées, on comprend très vite que ce n’est pas la protection du patrimoine collectif qui est la priorité de l’opération Epervier.
– Pour des raisons inavouées, on l’a vu dans le cas Paul Eric Kingue, personne finalement n’est à l’abri des foudres de l’injustice dans le contexte actuel
Personne. Je ne sais pas pourquoi vous ne citez que ce cas-là en illustration. La plupart des personnalités de l’Opération Épervier ont été de hauts dignitaires du régime. Cela prouve bien que personne n’est à l’abri. Il y a aussi des personnes moins connues médiatiquement, des «sans nom», victimes d’injustices.
– L’affaire Atangana Mebara a laissé plus d’un juge sur le carreau. La peur s’est installée. Maitre, il y a-t-il des raisons d’espérer que la justice devienne plus humaine?
Je ne lui demande pas tant que ça. Je lui demande simplement d’être juste et équitable.
Propos Recueillis par Edouard Kingue
Quotidien Le Messager