Chaque jour ou presque, un récit d’une attaque d’hommes armés ou d’un village incendié par les forces de sécurité émerge des régions anglophones du Cameroun : le conflit qui y oppose l’armée aux séparatistes ne cesse de prendre de l’ampleur.
“En moins de deux semaines, les convois du chef d’Etat-major, du gouverneur et le mien ont été attaqués”, explique le général Donatien Nouma Melingui, chargé des opérations militaires dans le Sud-Ouest, l’une des deux régions anglophones en crise.
“Les attaques viennent de partout. Ce sont beaucoup de petits groupes, emmenés par des +comzones+”, estime-t-il depuis Buea, la “capitale” de la région. A moins de 20 km de là, une enseignante a été abattue Lire aussi : Le rôle de l’Eglise catholique dans la crise anglophone au Cameroun
Buea est le dernier endroit où les journalistes et les ONG internationales peuvent s’aventurer avec l’aval du gouvernement qui estime que, passés les faubourgs montagneux de la ville, la situation sécuritaire ne permet pas de circuler.
“Sur la route, des hommes armés sortent de la forêt pour contrôler les voitures. Si vous êtes un Camerounais francophone, un Français ou un militaire, vous êtes morts”, affirme Matthias Ekeke, rapporteur de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) pour le Sud-Ouest. La France est accusée par les séparatistes de soutenir Yaoundé.
“C’est impossible de circuler sans les croiser”, corrobore un prêtre du diocèse qui préfère garder l’anonymat, décrivant des combattants masqués et armés sommairement.
Ces hommes se prétendent “forces de restauration” d’un Etat anglophone, qui avait éphémèrement vu le jour entre les deux guerres mondiales sous mandat britannique. Un Etat émietté entre le Nigeria et le Cameroun lors du partage des terres par les anciens administrateurs coloniaux, en 1960.
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“Ce sont des jeunes drogués bardés de grigris”, tranche le général Melingui, qui reconnait cependant qu’ils “connaissent leur terrain”. “Ce sont des jeunes des villages alentours, on les cherche mais on ne les trouve pas, nos éléments ne sont pas chez eux en forêt”.
Alors, l’armée patrouille sur les quelques axes routiers qui s’enfoncent dans la forêt dense. Et se fait attaquer, souvent.
Dans le Sud-Ouest, 24 membres des forces de sécurité ont été tués depuis novembre 2017 par des séparatistes lors d’attaques isolées.
Les bilans varient au gré des sources, dans un conflit où l’accès indépendant à l’information est “quasi impossible”, selon un défenseur des droits de l’homme qui préfère rester anonyme.
Les séparatistes utilisent Whatsapp pour communiquer et faire leur propagande, quand Yaoundé répond à grand renfort de communiqués. “Des deux côtés, il y a des mensonges, chacun raconte ce qu’il veut”, poursuit-il.
“Et comme personne ne connait le nombre de morts civils ou le nombre de déplacés, la presse n’en parle pas. Tout le monde se fout du Cameroun anglophone”, peste John, un étudiant de Buea.
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“Le Cameroun aura beau pleurer ses morts, c’est l’armée qui a radicalisé les jeunes contre qui elle combat. Si Yaoundé n’avait pas commencé à tuer des gens, ils auraient mis fin à cette crise avant que ca n’empire”, estime le prêtre.
“L’armée comme les séparatistes commet des exactions. Mais les militaires font pire que le camp d’en face et refusent qu’on en parle”, affirme Blaise Chamango, directeur de l’ONG “Human is Right”.
L’armée est notamment accusée par des habitants et ONG d’avoir incendié de nombreux villages anglophones, en représailles aux assassinats de forces de sécurité.
“Nous ne brûlons que les maisons où on découvre des armes”, se défend, lapidaire, le général Melingui.
Sur les réseaux sociaux, les vidéos de militaires camerounais mettant le feu à des baraquements se multiplient, de même que les témoignages d’habitants qui ont fui des villages rasés. Près de 34.000 personnes se sont réfugiés au Nigeria voisin.
“Quand les choses deviennent volatiles sur le terrain, les militaires font ce qu’ils veulent en toute impunité”, estime M. Ekeke, de la CNDH.
A cela s’ajoute “les écoles vides depuis un an et un système de racket des forces de sécurité”, selon lui. Il affirme que des gendarmes demandent parfois 30.000 francs (45 euros) aux familles de personnes arrêtées pour les libérer.
“C’est un grand chaos! Si les jeunes rejoignent les combattants, c’est qu’ils se sentent abandonnés par l’Etat camerounais”, s’inquiète-il.
A Buea, nichée sur les flancs du mont Cameroun, les militaires patrouillent en ville et cette “sale guerre”, selon John, est sur toutes les lèvres.
Selon tous les interlocuteurs rencontrés par l’AFP, les populations du Sud-Ouest ont pour la plupart pris le parti de la cause séparatiste.
Pourquoi? “Par peur des représailles”, veut croire le général Melingui.
“Trop c’est trop, les anglophones du Cameroun l’ont compris et on n’arrêtera pas”, pense de son côté un professeur de l’Université de Buea.
Avec AFP
Vidéo: Une “sale guerre” qui prend de l’ampleur au Cameroun anglophone
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Cameroon’s Army Chief General Rene Claude Meka Admits Atrocities on Civilians
La Republique du Cameroun’s army chief of staff, General Rene Claude Meka visited Bamenda, in the northern part of Ambazonia on Wednesday April 11th 2018 to evaluate the state of the war against the people of Ambazonia declared months ago by absentee president Paul Biya. The war, which has been on since November 2017 has seen heavy casualties on both sides and resulted in over 100,000 civilians fleeing their homes to neighboring towns and neighboring countries like Nigeria in search for safety.
Speaking at the deserted and devastated battleground to soldiers currently militarizing the area, the elderly general blamed the soldiers for abusing the population they are supposed to be protecting. He instructed his commanders to be nice to the population so that the population can help them out in the war against the people of Ambazonia.
This declaration has been heavily criticized as a senseless declaration considering that the general is asking the soldiers to cooperate with the same people they are fighting. The same soldiers have been given full orders to shoot on sight and shoot to kill since January 2018, an order which has led to many villagers deserting their homes, hiding women and children in the forests and organizing themselves into self-defense groups. The same soldiers have adopted a scorched-earth military tactic for several months now in the process of which they have burnt many elderly villagers in their homes who were too old to run away like the younger ones. The same soldiers have looted hundreds of homes and made away with livestock, food, money, jewelry and other valuable items while destroying what couldn’t be carried away like motorbikes and vehicles. In short, the General asking these soldiers to cooperate with the population is like asking one to sleep with an enemy. It will take decades, if not a century to restore any kind of friendship between the population and the army in Ambazonia.
By acknowledging the need to work with the population and not against it, General Meka is doing too little and too late. The easy thing to do in order to win back the population would be to simply lay down arms and demilitarize the zone.
The same strategy is being put in place in other parts of Ambazonia like Manyu County where a meeting by colonial administrators is holding to find ways to ensnare the people who have managed to find safety in remote caves and forests.
They know that as long as the thousands of displaced Ambazonians stay alive in other places, eventually they will return someday to fight for their land. So the best strategy is to pretend to want them back home, entrap them then bundle them off into prisons in La Republique du Cameroun or kill straight away as the case is right now.
Unfortunately, citizens of Ambazonia have learned from experience never to trust anything related to La Republique du Cameroun, never again! And it shall not be business as usual General.
Ndoh Emmanuel
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Au Cameroun anglophone, Buea, une fac aux racines de la guerre
A la création d’un syndicat étudiant en 1995 à l’université de Buea, capitale de la région du Sud-Ouest, personne n’aurait pu croire que ses fondateurs deviendraient des leaders de la lutte armée dans les régions anglophones du Cameroun.
Cho Ayaba et Ebenezer Akwanga, qui sont aujourd’hui chefs de groupes armés dans l’ouest camerounais, avaient lancé à l’époque à l’université de Buea (UB) un syndicat prônant l’ »argument de la force » pour revendiquer l’indépendance anglophone vis-à-vis de Yaoundé.
Après son interdiction, d’autres leaders du mouvement séparatiste armé, qui combattent contre l’armée camerounaise déployée en force dans les régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, sont depuis passés par la fac de Buea : Mark Bareta, devenu propagandiste pro-séparatiste sur les réseaux sociaux, Tanku Ivo Tapang, ancien journaliste exilé aux Etats-Unis.
« A l’université de Buea, on réfléchit. On peut penser à notre histoire, et quand on la regarde, on voit que ça ne va pas, qu’il y a des problèmes » au Cameroun anglophone, explique anonymement un étudiant en master de recherche de la plus importante université anglophone du pays.
Un professeur en sciences politiques, sous couvert d’anonymat, énumère ces « problèmes » : l’omniprésence des francophones aux postes à responsabilité, le non-respect d’un référendum d’auto-détermination en 1961, le mépris des francophones vis-à-vis des anglophones.
Depuis plusieurs mois, la crise s’est muée en conflit armé dans les deux régions anglophones, les séparatistes s’en prenant aux symboles de l’Etat, allant jusqu’à tuer des membres des forces de sécurité, l’armée répondant par la force.
Les revendications anglophones ont toujours été au cœur des débats de l’UB depuis sa création en 1993. « On n’en parle pas en cours, car on peut avoir des professeurs francophones, mais entre nous, toujours », explique l’étudiant en master.
En réaction, l’université a « une gouvernance autoritaire plutôt que démocratique, pour en assurer le contrôle politique et la loyauté » à Yaoundé, selon les travaux en 2009 de Piet Konings, chercheur hollandais à l’Université de Lieden (Pays-Bas).
« Émeutes »
Chaque année, 12.000 étudiants – une majorité d’anglophones – passent les portails du large campus niché au cœur de la ville.
En 2006, la création d’un département de médecine à Buea dégénère en émeutes qui font deux morts et des blessés en ville.
Tandis que seuls des anglophones ont été admis au concours d’entrée du nouveau département, Yaoundé, sur la base de l’ »unité nationale », refuse alors ces résultats et impose des francophones parmi les admis, suscitant la révolte.
Malgré une politique affichée de quotas pour éviter la marginalisation de la minorité anglophone, « Yaoundé n’a jamais réellement voulu des anglophones », selon John, étudiant en master de sciences politiques dont le prénom a été changé.
La marginalisation, « on la voit partout, dans chaque corps de métier ».
« A l’Université comme partout à Buea, beaucoup de postes à responsabilités sont tenus par des francophones, qui plus est souvent membres du parti au pouvoir », estime le professeur en sciences politiques, qui dit ressentir « beaucoup de frustration parmi (ses) élèves anglophones ».
« Boîte de Pandore »
En 2016, de nouveaux événements à l’université sont considérés comme déclencheurs de la crise actuelle.
Fin novembre, une marche pacifique pour réclamer le versement d’une prime promise par le président Biya et le rétablissement d’un syndicat étudiant interdit en 2012, est violemment réprimée par les autorités.
« Pour la première fois dans l’histoire de l’université, en 2016 la police est entrée sur le campus. Des filles ont été violées, d’autres humiliées, des gens ont été arrêtés chez eux », raconte John.
Les images de la répression sont vite devenues virales. Selon International Crisis Group (ICG), la médiatisation de ces « bavures » a contribué à « pousser à bout les populations », et à ouvrir « la boîte de Pandore du problème anglophone ».
« Longtemps, on a su garder cette frustration pour nous. Mais avec les événements de 2006 et ceux de 2016, on se dit que trop, c’est trop. Il va y avoir la révolution à l’UB et au Cameroun anglophone », veut croire John.
Pour les séparatistes, l’université est devenue un symbole de leur Etat fantasmé, dont Buea serait la capitale.
Mais aujourd’hui, l’immense campus est calme. Des étudiants se préparent sur les flancs du mont Cameroun à un concours sportif inter-universités, d’autres boivent des bières et palabrent dans les bars attenants à la fac.
« Le séparatisme à l’université, ce sont les +fous+ comme Bareta qui l’ont instauré, ils ont manipulé des élèves », enrage Blaise, un ancien étudiant et ex-camarade de classe de Mark Bareta.
« Ils ont fait des syndicats étudiants des plateformes politiques », peste-il, ajoutant : « l’université de Buea, ce n’est pas la guerre, c’est le savoir ! »