Corruption : Vincent Bolloré plaide coupable
Le milliardaire français Vincent Bolloré plaide coupable de corruption en Afrique. Il pensait échapper au procès contre une amende mais la justice refuse d’homologuer l’accord. Une première et un revers selon l’avocat William Bourdon : “Il a été pris la main dans le sac”. Rappel des faits. www.tv5monde.com/info
Publiée par TV5MONDE Info sur Vendredi 26 février 2021
Vers un procès contre Vincent Bolloré dans une affaire de corruption en Afrique
L’audience devant le tribunal judiciaire de Paris, dont la tenue, vendredi 26 février, était restée confidentielle jusqu’au petit matin, s’annonçait comme une simple formalité.
Vincent Bolloré et deux dirigeants de son groupe, Gilles Alix et Jean-Philippe Dorent, avaient accepté de reconnaître leur culpabilité dans une affaire de corruption au Togo qui leur avait valu d’être mis en examen au cours de l’année 2018, et de consentir au paiement d’une amende de 375 000 euros chacun, sans toutefois que leur condamnation soit inscrite à leur casier judiciaire.
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La procédure d’homologation, comme ce fut le cas par le passé pour celles de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité présentées par le Parquet national financier (PNF), n’apparaissait que de pure forme. C’était donc confiants et convaincus que l’affaire en resterait là que l’industriel et ses conseils avaient pris place dans le prétoire.
Mais la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez, en a décidé autrement, stupéfiant l’assistance au premier rang de laquelle figuraient M. Bolloré et sa défense. La magistrate, qui siège habituellement dans une autre chambre, a ainsi considéré que les peines proposées par le PNF et acceptées par les trois mis en cause étaient « inadaptées » et elle a estimé « nécessaire » que les infractions visées, en l’espèce la corruption active d’un agent public étranger et l’abus de confiance, soient jugées devant le tribunal correctionnel dans le cadre d’un procès ordinaire.
Mme Prévost-Desprez a justifié sa décision en soulignant que les faits reprochés « portent gravement atteinte à l’ordre public économique » car ils ont « porté préjudice à la souveraineté de l’Etat togolais en altérant le fonctionnement régulier de ses institutions ». La présidente a par ailleurs souligné que les mis en cause avaient également « méconnu le principe fondamental d’égalité de traitement des candidats à la conclusion d’un contrat de marché public ou de délégation de service public ».
Avantages fiscaux
Quelques minutes plus tôt, le milliardaire breton, costume gris, masque FFP2 bleu ciel, s’était avancé à la barre pour décliner son état civil et écouter les faits qui lui étaient reprochés.
A savoir, notamment, d’avoir donné l’instruction à une filiale de son groupe, la société Euro RSCG, devenue depuis Havas, de remplir une mission de conseil et de communication auprès du président togolais Faure Gnassingbé, dans le cadre de la campagne pour sa réélection à la présidence, en mars 2010. Mission dont le coût a été sous-facturé, supporté pour les trois quarts – soit 300 000 euros – par une autre filiale du groupe, dans l’objectif que le président du Togo accorde une série d’avantages conséquents au groupe Bolloré dans l’exploitation des concessions portuaires de la capitale, Lomé.
Concomitamment aux conseils apportés par Euro RSCG entre fin 2009 et début 2010 au président en campagne, la durée des concessions avait en effet été prolongée de dix à trente-cinq ans et, conformément aux demandes du groupe, la construction d’un troisième quai était lancée sur le port. Puis, alors que de nouveaux avantages fiscaux étaient accordés à la société française, Vincent Bolloré lui-même avait décidé de l’embauche du demi-frère du président togolais au sein de son groupe, pour un salaire de 8 500 euros par mois. Un montant supérieur au profit réalisé par la filiale togolaise d’Euro RSCG où il avait été placé.
Vincent Bolloré était aussi mis en cause pour des faits similaires concernant la Guinée, mais la chambre de l’instruction a considéré il y a plusieurs mois que ceux-ci, à l’exception d’un abus de confiance commis au préjudice d’une autre filiale du groupe, étaient prescrits.
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« Reconnaissez-vous votre culpabilité ?
– Oui, madame la présidente », a répondu Vincent Bolloré, avant de retourner s’asseoir derrière ses avocats.
L’industriel se trouve désormais dans la position délicate où, alors qu’il a admis sa culpabilité, il devra probablement se défendre à l’occasion d’un procès à l’ouverture duquel il sera toujours présumé innocent.
Le tribunal qui sera saisi ne devra cependant pas tenir compte de l’audience de ce vendredi. Il appartient désormais à la juge d’instruction du pôle financier chargé de l’enquête, Aude Buresi, de rédiger une nouvelle ordonnance qui décidera d’un éventuel procès, sauf si le PNF décidait dans les quinze jours d’une citation devant le tribunal.
Amende de 12 millions d’euros
L’audience s’était ouverte par l’examen de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) négociée pendant près de deux mois entre le PNF et les défenseurs de la société Bolloré SE, mise en cause en tant que personne morale dans la même affaire.
Contrairement aux trois comparutions avec reconnaissance préalable de culpabilité précitées, la CJIP a été homologuée par le tribunal. Elle prévoit le paiement d’une amende d’intérêt public de 12 millions d’euros qui sera supportée par la holding de Bolloré SE dans les dix jours suivant l’homologation.
Le groupe devra aussi mettre en place un programme de mise en conformité aux règles de l’Agence française anticorruption sur une durée de deux ans pour un montant maximal de 4 millions d’euros au frais de l’entreprise.
Dans un communiqué postérieur à l’audience, où il n’est pas fait mention du refus des comparutions avec reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur national financier, Jean-François Bohnert, a salué cette septième CJIP réalisée par son parquet.
Il était venu personnellement à l’audience requérir aux côtés de deux autres magistrats du PNF, Aurélien Létocart et Jean-Luc Blachon, et s’était félicité des discussions « parfaitement sereines » qui avaient précédé cette double audience, rappelant que ces procédures reposent sur le « consensualisme » et qu’« il ne s’agit pas d’une justice de l’entre-soi qui se fait à l’abri des prétoires ». Les avocats de Vincent Bolloré n’ont, pour leur part et contrairement à ce qu’ils avaient envisagé avant l’audience, pas réagi.