Thierry Michel Atangana et les (05) autres ressortissants du Cameroun reconnus en détention arbitraire par l’ONU
Outre Thierry Michel Atangana pour lequel nous militions déjà en faveur de la libération au sein du comité de soutien créé à cet effet par SOS Racisme, cinq (05) autres ressortissants camerounais (Pierre Désiré Engo, Lapido de Mbanga, Paul Eric Kingué, Lydienne Yen Eyoum, Marafa Hamidou Yaya) ont également bénéficié de la même reconnaissance du caractère arbitraire de leurs détentions par l’ONU.
C’est dire le niveau sans égal d’assujettissement de l’institution judiciaire au pouvoir exécutif dans ce pays qui, comme dans certains “États voyous”, a véritablement érigé la séquestration arbitraire en une norme sociale.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Décryptage
Le 15 décembre 2004, le commerçant marocain Hamo Hassani est arrêté près de chez lui, à Nador, par des hommes des services de renseignement habillés en civil. Peu après, il apprend qu’il est accusé de trafic d’armes, puis de complicité de meurtre. Il conteste ces faits, mais signe finalement des aveux sous la torture. Il est finalement condamné, après un procès sans preuves et à charge, à quinze années de prison. Dans un avis publié il y a un mois, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire affirme que l’emprisonnement de Hamo Hassani est arbitraire et demande sa libération immédiate.
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Depuis près de trois ans, l’organisme onusien a rendu plusieurs milliers d’avis semblables, évalue le juriste Béninois Roland Adjovi, son président. Aucun chiffre précis n’est disponible, dans la mesure où aucun registre n’a été constitué pour le moment. Les États auraient vu d’un mauvais œil la sortie d’un « classement » des pays qui pratiquent le plus la détention arbitraire… Mais cela devrait changer dans les mois à venir, avec la mise en place d’une procédure de suivi. L’influence de l’institution internationale s’est accrue ces dernières années. Crée en novembre 1991 à l’initiative de la France, le Groupe de travail est constitué de cinq experts indépendants et bénévoles, représentants des principales régions du monde. Son mandat, établi par le Conseil des droits de l’homme, est renouvelé tous les trois ans.
Terrorisme et « printemps arabes »
Le Groupe fêtait donc son 25e anniversaire, lundi 28 novembre, au Palais des nations à Genève. L’ambassade de France était l’invitée d’honneur. Trois victimes de détention arbitraire, libérées grâce à l’action du Groupe de travail, étaient mises en avant. Le Franco-Camerounais Michel Thierry Atangana, qui a passé dix-sept ans dans une geôle camerounaise sans motif juridiquement valable, a été libéré quelques semaines après que le Groupe de travail a jugé sa détention arbitraire. Son état de santé ne lui a pas permis de venir à Genève afin de témoigner comme il l’aurait souhaité, mais son avocate l’a fait pour lui, rappelant à quel point l’organisme onusien avait un rôle fondamental dans la lutte pour le respect des droits humains dans le monde.
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Selon son président, Roland Adjovi, le mandat de cette institution a beaucoup évolué, car il prend aussi en compte aujourd’hui la détention des migrants. « Les types de violation ont aussi changé, explique-t-il. Par exemple, les cas de détention arbitraire liés au terrorisme sont plus nombreux. Les “printemps arabes” ont aussi multiplié les affaires. » En Egypte, le photojournaliste égyptien Mahmoud Abou Zeid a été arrêté en 2013 sur la place de Rabaa alors qu’il couvrait une manifestation dans le cadre de son travail. Il est depuis emprisonné au Caire et son état de santé est critique, car il souffre d’une hépatite C.
Parmi tous les cas évoqués par le Groupe de travail se trouvent nombre d’Africains. Fin octobre, l’institution considérait ainsi comme arbitraire la détention d’Abdelkader Belliraj, au Maroc, arrêté à Marrakech en 2008. Selon ces experts, dix-sept membres du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha), en République démocratique du Congo (RDC), sont également maintenus abusivement derrière les barreaux. Même avis en ce qui concerne un groupe de Soudanais liés à l’organisation TRACKS (Khartoum Centre for Training and Human Development), qui est notamment active pour les droits humains au Soudan.
« Notre travail dérange les Etats »
Le Groupe de travail est directement saisi par les victimes, leurs proches, leur avocat ou les ONG de défense des droits humains qui font connaître leur situation. Des experts analysent la centaine de plaintes que le Groupe reçoit tous les mois et écrivent au pays concerné pour lui permettre de s’expliquer sur les cas suspectés. En moyenne, un Etat sur trois répond aux requêtes du Groupe de travail. Après l’étude approfondie du dossier, ces experts, qui se réunissent trois fois par an à Genève, remettent leurs conclusions. « Notre travail dérange les Etats », affirme Roland Adjovi. Ainsi il n’est pas rare que certaines décisions soient controversées. Ce fut le cas pour Karim Wade, homme politique sénégalais condamné en 2015 pour « enrichissement illicite et complicité », dont l’incarcération a été jugée arbitraire par le Groupe de travail des Nations unies. Cet avis avait été violemment attaqué par les autorités sénégalaises. Mais Karim Wade a finalement été libéré en juin. Il réside désormais au Qatar.
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Même si les avis du Groupe n’ont aucun caractère contraignant, ils ont un fort pouvoir symbolique, car ils s’appuient sur le droit international, que les Etats sont censés respecter. Une recommandation du Groupe de travail peut peser sur leur réputation et précipite parfois la libération d’un détenu. Pour Roland Adjovi, « quand le Groupe fait le constat qu’une situation correspond à une détention arbitraire, cette conclusion s’impose, sans voie de recours, estime-t-il. Les Etats estiment qu’il s’agit de recommandations. Je ne le pense pas dans la mesure où nous nous appuyons sur des traités internationaux que les Etats se sont engagés à respecter. »
Par Marie Maurisse (Genève, correspondance) – LE MONDE
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Emprisonné 17 ans sans motif valable, Michel Thierry Atangana attend réparation du Cameroun
Michel Thierry Atangana ne va pas bien. Hospitalisé depuis quelques jours à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, il souffre de graves problèmes articulaires. « La machine lâche un peu », dit-il pudiquement. Les dix-sept ans passés dans une cellule de 7 m2 ainsi que les tortures qu’il a subies ont à jamais affaibli l’organisme et l’esprit de cet homme de 52 ans. Son état de santé ne lui aura pas permis de se rendre à Genève, lundi 28 novembre, comme il l’avait décidé, pour fêter le 25e anniversaire du Groupe de travail des Nations unies contre la détention arbitraire, à qui il doit sa libération.
L’histoire du Français d’origine camerounaise Michel Thierry Atangana est digne d’un roman de Franz Kafka. Le 12 mai 1997, alors qu’il vivait au Cameroun, son pays d’origine, depuis plusieurs années, il est arrêté par les autorités et placé en garde à vue. On l’accuse de détourner des fonds au bénéfice d’un opposant au pouvoir en place. Quelques semaines plus tard, il est condamné sans preuves. Il passera dix-sept ans dans un sous-sol du Secrétariat à la défense, une pièce minuscule, sans fenêtre, sans aération, sans droit de visite et avec de très courtes sorties.
Emprisonné à tort
En 2008, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu, mais son statut ne change pas. En 2012, un autre tribunal confirme sa peine, et la rallonge. Cette deuxième condamnation pousse le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, créé en 1991, à réagir. Depuis Genève, ces experts jugent que Michel Thierry Atangana est emprisonné à tort et réclament sa libération immédiate ainsi qu’une réparation pour les torts subis. Quelques semaines après la publication de cet avis, le président du Cameroun, Paul Biya, lui octroie par décret une remise de peine. C’est la fin de son calvaire.
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Le 28 février 2014, il rentre enfin en France. Mais sa situation n’est pas réglée pour autant : la justice camerounaise ne l’a pas blanchi des charges qui pèsent contre lui. Et tant que c’est le cas, les fonds qu’il possédait à Yaoundé restent bloqués. Paul Biya a nommé un groupe de travail interministériel chargé d’étudier son cas, mais ses conclusions se font attendre. « Comme nous ne sommes pas soutenus par la France, nous nous retrouvons comme de simples civils, face à un Etat dont on connaît la lenteur », regrette son avocate Marie-Agnès Nicolas, dont le cabinet, Hughes Hubbard and Reed, défend pro bono Michel Thierry Atangana.
« Besoin d’une assistance concrète »
A Paris, la situation du Français n’est pas beaucoup plus claire. Une plainte contre X pour détention arbitraire a été déposée par Michel Atangana, mais, là aussi, les choses traînent. Tant que la procédure est en cours, il ne peut bénéficier des aides de la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), ni de celles du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme. Quant aux autorités, elles font la sourde oreille. François Hollande et Laurent Fabius ont bien reçu Michel Atangana à sa libération. Depuis, il ne se passe plus rien.
« Les gens se disent que j’ai été libéré, et que c’est déjà pas mal, explique Michel Atangana. Mais les victimes de détention arbitraire ont besoin d’une assistance concrète, conformément à ce que préconise le Groupe de travail des Nations unies. Comment justifiez-vous que ma seule alternative, c’est de pointer au RSA ? La France se présente comme la terre des droits de l’homme, alors qu’elle m’a laissé tomber. Quelle hypocrisie ! » Le Quai d’Orsay a bien fourni une attestation à Michel Atangana. Mais, dans ce document, rien n’indique que son emprisonnement était arbitraire. Pas question, pour Paris, d’émettre un jugement de cet ordre tant que Yaoundé ne s’est pas prononcé sur le sujet.
Aujourd’hui, Michel Atangana réside seul à Paris. S’il parvient à joindre les deux bouts, c’est uniquement grâce à son réseau. L’association Atangana contre l’oppression et l’arbitraire se montre très active. Pour Roland Adjovi, président du Groupe de travail onusien, l’affaire Atangana représente « la contradiction profonde des Etats sur le sujet et un déni de l’être humain. La France n’est pas coupable de la détention de M. Atangana. Mais, en tant que premier défenseur du Groupe de travail aux Nations unies, elle devrait en respecter les conclusions et accompagner son ressortissant dans sa réhabilitation ».
Par Marie Maurisse (Genève, correspondance) – LE MONDE