C’est la dernière métastase de la crise politique qui sévit en République démocratique du Congo (RDC). Elle a pris la forme d’un conflit qui a mis à feu et à sang les provinces du Kasaï, dans le centre du pays. En dix mois, les violences ont provoqué la mort de plus de 400 personnes et contraint plus d’un million d’habitants à fuir, selon l’ONU.
Lire aussi : A Kikwit, les rescapés des massacres au Kasaï racontent une guerre atroce qui se « tribalise »
Le Kasaï est aussi le théâtre d’une autre bataille : celle qui se joue, au niveau international, pour qu’enfin les Nations unies puissent dépêcher sur place des enquêteurs indépendants. Mardi 20 juin à Genève, lors de la 35e session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, les 47 Etats membres s’accorderont-ils sur le fait que les massacres à répétition sont un crime intolérable ? Les tractations se poursuivent en vue du vote prévu le 22 ou le 23 juin sur la mise en place d’une commission d’enquête internationale.
« Les Etats membres ont l’opportunité d’être du côté des victimes et de mettre un terme au cycle de l’impunité, dit, à Kinshasa, José Maria Aranaz, directeur du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme. Cette session est cruciale, car elle pourrait permettre de déterminer les responsables des crimes au Kasaï. »
Quarante-deux fosses communes
Depuis le début du conflit, l’ONU a été systématiquement entravée dans ses démarches. Deux de ses experts, qui enquêtaient sur les responsables de crimes et de violations des droits humains dans la région, ont été assassinés mi-mars dans des conditions troubles. Le régime de Joseph Kabila, qui s’accroche au pouvoir depuis décembre 2016, fait barrage. Par la force s’il le faut. Des casques bleus ont été mis en joue par des militaires congolais et se sont vu refuser l’accès à certaines zones du pays.
Quarante-deux fosses communes ont été découvertes, dont 19 dans la ville de Tshimbulu, où sont positionnés quelques casques bleus parmi la centaine déployée dans les trois provinces touchées par le conflit. Mais il y en a sans doute d’autres, dans les nombreuses zones interdites d’accès à la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco).
Lire aussi : Les charniers du Kasaï, stigmates des maux congolais
Comme le révèle une enquête rigoureuse de Radio France internationale (RFI), qui cite des documents confidentiels, la Monusco a préféré préserver sa relation délicate avec le gouvernement congolais et a minimisé, publiquement du moins, l’ampleur du désastre. La mission était pourtant informée chaque mois par des notes internes du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, n’a pas réagi. La Cour pénale internationale (CPI) n’a jusque-là posé aucun acte indiquant qu’elle allait ouvrir une enquête. Sa procureure générale, Fatou Bensouda, s’est contentée d’exprimer sa « profonde préoccupation ». Des responsables du régime de Kabila sont soupçonnés d’avoir attisé le feu au Kasaï, certains sont visés par des sanctions de l’Union européenne (UE) et des Etats-Unis, mais la communauté internationale semble impuissante pour enrayer cette crise.
Offensive diplomatique
Pas d’enquête indépendante, pas de vérité, au risque de renforcer le sentiment d’impunité des auteurs des crimes. Une situation déjà éprouvée au Burundi, où une commission d’enquête internationale avait été mise en place en septembre 2016. Depuis, le régime de Bujumbura n’a jamais laissé les enquêteurs pénétrer sur son territoire.
« Malgré la présence de quelque 20 000 casques bleus en RDC, l’ONU a perdu encore un peu plus d’influence diplomatique et toute prise sur le gouvernement, constate Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). En RDC comme au Burundi, elle est incapable de mener à bien des enquêtes. »
De son côté, Joseph Kabila a fini par accepter, début juin, une enquête conjointe sur les violences au Kasaï après que le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a lancé un ultimatum à Kinshasa. Une manière pour le régime de donner l’impression de faire une concession… tout en gardant la main sur le contenu des investigations. En RDC, les missions conjointes n’ont jamais vraiment abouti, à l’instar des seize enquêtes lancées contre les auteurs de graves violations des droits de l’homme dans l’est du pays.
Lire aussi : Violences au Kasaï : Kinshasa cède à l’ONU pour une enquête mais veut garder la main
Parallèlement, Joseph Kabila poursuit son offensive diplomatique. Les pays voisins sont les premiers ciblés, puis ceux qui disposent du droit de vote et d’une influence dans les instances onusiennes. Son conseiller diplomatique, Barnabé Kikaya Bin Karubi, et son vice-premier ministre chargé des affaires étrangères, Léonard She Okitundu, ont sillonné le continent. En Afrique australe mais aussi en Egypte et en Russie, Kinshasa a su se trouver des alliés peu regardant sur ses dérives.
Refus de Lomé et de Pretoria
En mars, Zeid Ra’ad Al-Hussein a insisté sur l’urgence de mettre en place une enquête sur le Kasaï. Une demande certes mal préparée et non aboutie, mais qui a eu le mérite de tester la volonté des 47 Etats membres – et notamment des treize africains. Le Togo et, surtout, l’Afrique du Sud de Jacob Zuma, qui entretient des liens politiques et d’affaire avec Joseph Kabila, s’y sont catégoriquement opposés, faisant valoir la capacité des institutions congolaises à mener les enquêtes. Le 20 juin, Lomé et Pretoria devraient donc camper sur leur position.
Une enquête internationale n’est pas une formule magique permettant de mettre un terme à un conflit, mais dans le cas présent elle servirait de symbole dans la lutte contre l’impunité en RDC.
En 1997, déjà, lorsque Laurent-Désiré Kabila renversa Mobutu Sese Seko, son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) commit des crimes de masse qui, aujourd’hui encore, restent impunis et sont volontairement minimisés par certaines puissances occidentales. Vingt ans plus tard, Kabila fils, entouré des conseillers politiques et militaires de son défunt père, perpétue cette « tradition » et défie ses anciens alliés. La réponse de ces derniers, le 20 juin, sera déterminante pour la crédibilité de l’ONU face à des régimes accusés de massacres.