La question est de savoir aujourd’hui si la présence militaire affirmée de la France en Afrique noire contribuera à restaurer son influence diplomatique et économique sur le continent; notamment auprès des nouvelles générations de dirigeants et de cadres, très au fait des bouleversements géostratégiques et économiques mondiaux, et qui ont précisément vu la même France tourner le dos à leurs pays dès la fin des années 80, puis pendant toute la décennie des années 90, au nom d’une “Afrique sans avenir”?
L’on peut sérieusement en douter…
Le soutien affiché des locataires successifs de l’Élysée aux régimes autoritaires en place parfois depuis les indépendances de certaines des anciennes colonies françaises (Togo, Gabon, Cameroun, Tchad, Congo…) en complexifie davantage la situation ….Précisément au moment où certaines dictatures, notamment le régime de Paul Biya à Yaoundé, exploitent à suffisance le sentiment anti-français qui règne sur place, pour mieux exercer un chantage sur leurs “maîtres” à Paris, et grappiller encore quelques mois voire quelques années de présidence qu’ils conçoivent (toutes) à vie.
La rénovation de la politique française en Afrique passera inévitablement par une vraie rupture avec le regard uniquement paternaliste et compassionnel que les Français ont jusqu’ici porté sur les ressortissants de ce continent; mais aussi par un accent mis sur le respect des idéaux démocratiques et particulièrement de l’alternance au pouvoir; sans laquelle Paris risque encore et toujours demeurer sur le banc des principaux accusés en Afrique, y compris dans des crises où il n’y tient strictement le moindre rôle.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)
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La France a-t-elle rénové sa politique africaine?
INFOGRAPHIE – Plus d’un demi-siècle après la décolonisation, la France entretient toujours des liens étroits avec ses anciennes colonies africaines. Au-delà des discours, comment a évolué cette relation particulière ?
La politique africaine reste un pilier de la diplomatie française, le socle de son influence au sein des Nations unies, presque la dernière justification de son siège permanent au Conseil de sécurité. Mais le temps passant, les choses évoluent, rendant souvent le partenariat entre Paris et le continent africain plus complexe. L’époque de la Françafrique et des amitiés personnelles, sous le général de Gaulle, et celle du réalisme brutal de François Mitterrand sont révolues. L’alternative crédible à ces schémas obsolètes tarde à s’imposer. Au-delà de deux interventions militaires salutaires, la France de François Hollande semble encore chercher un modèle. Un récent rapport parlementaire, signé des députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP), critique une politique «qui réagit plus qu’elle n’anticipe» en Afrique, et dénonce des «paradoxes» parfois délicats.
Quelle pensée guide la politique de François Hollande en Afrique?
Comme Nicolas Sarkozy avant lui, François Hollande est entré à l’Élysée sans tropisme africain particulier. Le nouveau président s’appuie alors sur une équipe de chercheurs et de diplomates proches du Parti socialiste qui, pour beaucoup, ont déjà servi lors du passage de Lionel Jospin à Matignon. Ils sont les auteurs de sa politique du «ni indifférence, ni interférence». Cette école de pensée place l’organisation d’élections et la structuration de la société civile au centre de l’aide à la stabilisation des États africains et à leur développement. En parallèle, l’Élysée prône, outre une rupture avec les vieux réseaux françafricains de toute façon moribonds, une ouverture vers l’Afrique de l’Est et l’Afrique anglophone, pour sortir du «pré carré» des anciennes colonies.
Et gagner des marchés. Le rapport parlementaire souligne la promotion à des postes clefs de diplomates swahiliphones (une langue de l’Afrique de l’Est). François Hollande pourra, grâce à ces analyses, revendiquer de beaux succès diplomatiques, comme le scrutin au Mali, un rapprochement avec le Nigeria, le géant économique d’Afrique de l’Ouest avec lequel la France entretenait des relations très fraîches depuis des décennies, et une très bonne entente avec l’Union africaine. Reste que, trop intellectuelle, cette politique se heurte parfois aux réalités. «Le message français est peu à peu devenu inaudible, car dans les grands sommets on se dit décidé à faire respecter les grands principes, mais cela ne s’applique pas aux cas particuliers. Récemment, la France est restée muette lors des élections au Togo ou lors de la crise au Burundi (deux processus électoraux contestés, NDLR). Les hommes d’État africains ne comprennent pas toujours et s’agacent», analyse un chercheur. Les critiques se font plus vives sur la volonté de s’éloigner du champ francophone. «C’est une erreur. C’est notre tradition et on ne peut s’en défaire. La France est attendue sur le terrain politique, en Afrique de l’Ouest, et c’est uniquement pour cela que l’Afrique anglophone s’intéresse à notre pays», affirme encore le chercheur.
Quel est le paradoxe dans la politique française en Afrique?
Il y a une forme d’ambiguïté entre les actes et le discours depuis l’entrée de François Hollande à l’Élysée. Alors même que la France affichait une volonté de se désengager, notamment militairement, et de normaliser ses relations avec les États africains, elle n’est jamais autant intervenue. Deux fois en deux ans, l’armée française a débarqué massivement, au Mali début 2013, puis en Centrafrique en décembre de la même année. Elle y est encore. Pour les besoins de ces interventions, la France a parfois dû se rapprocher de chefs d’État africains que l’entourage de François Hollande jugeait peu après son élection «infréquentables». «Nous ne traiterons pas avec des présidents qui ne respectent pas nos principes», disait-on alors. En octobre 2012, à l’occasion du sommet de la francophonie à Kinshasa, François Hollande n’avait échangé qu’une brève poignée de main avec Joseph Kabila et il avait vertement critiqué à la tribune «la situation inacceptable des droits de l’homme» au Congo. Une mise à distance qui serait plus difficile à mettre en scène en aujourd’hui. Quelques mois après ce sommet, à la recherche d’alliés dans les crises malienne et centrafricaine, Paris renouait ainsi avec trois barons de l’Afrique francophone: le Tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis vingt-cinq ans, le sulfureux président congolais Denis Sassou Nguesso et le Burkinabé Blaise Compaoré, renversé depuis lors. De la realpolitik en somme, qui peut parfois passer pour une forme de cynisme.
S’agit-il d’une militarisation de la politique française?
Elle tient d’abord à une réalité, aux deux vastes opérations militaires conduites au Mali et en Centrafrique en 2013. La nécessité de ces interventions, qui ont reçu l’aval, tant des Nations unies que de l’Union africaine, n’est remise en cause par personne. «Elles étaient totalement justifiées», souligne Philippe Baumel. Mais, au final, la France dispose aujourd’hui de 10.000 soldats sur le continent africain. Ce chiffre devrait baisser avec le retrait programmé de Sangaris de Centrafrique. Nous sommes très loin des 30.000 soldats encasernés dans les anciens territoires au lendemain de la décolonisation. Mais c’est nettement plus que les 5000 présents sur le sol africain en 2012 et surtout c’est la première fois depuis 1960 que le nombre de militaires français augmente sur ce continent. Le livre blanc de la Défense en 2008 prévoyait pourtant la fermeture de plusieurs bases permanentes, aujourd’hui toujours ouvertes. Cette activité a propulsé le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, au premier plan. Ce proche de François Hollande a pris les dossiers africains à bras-le-corps et, appuyé par une stratégie médiatique calculée, l’a fait savoir. On ne compte plus ses voyages dans les capitales africaines. Pour Jean-Claude Guibal, il est même «le ministre de l’Afrique». Jean-Yves Le Drian a aussi profité de l’extrême discrétion du Quai d’Orsay. «Il est clair que le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ne s’intéresse pas à l’Afrique. C’est très loin de ses préoccupations, il est plutôt tourné vers le Moyen-Orient», souligne Laurent Bigot, ancien directeur Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay.
La France perd-elle pied sur le continent?
L’essor des investissements chinois est l’une des principales raisons de la perte de parts de marché de la France en Afrique.
Cette perte d’influence de la France sur le continent est un constat régulièrement avancé. Il n’est que partiellement vrai. Le mauvais point vient des données économiques. En vingt ans, les parts de marché de la France en Afrique sont passées de 10,1 % à 4,7 %. Cette chute est essentiellement liée à l’arrivée de nouveaux concurrents, à commencer par la Chine, dont le commerce avec l’Afrique a explosé (de 2 % en 1990 à 16 %), mais aussi le Brésil ou des pays du Golfe. Plusieurs présidents africains, notamment l’Ivoirien Alassane Ouattara, se plaignent de ce retrait et incitent les PME françaises à investir. Il faut cependant tempérer cette impression. D’abord parce que l’enveloppe globale a augmenté et ensuite parce que dans une économie qui se mondialise, il est normal que des nouveaux acteurs surgissent. Les grandes entreprises françaises ont par ailleurs conservé leurs positions, voire ont gagné des marchés dans de nouveaux pays. L’investissement militaire de Paris, qui a grandement contribué à la sécurité continentale, a changé, en bien, l’image de marque de la France. Notre pays, il y a peu encore, vu comme néocolonialiste, est maintenant souvent perçu comme un État réellement intéressé par l’Afrique, ce qui lui ouvre des portes. Cette nouvelle perception reste néanmoins souvent le fait d’une élite. La population des anciennes colonies conserve souvent l’idée d’une France plus prompte à défendre ses intérêts et ceux des dirigeants qui lui sont proches que celle d’un pays protégeant la démocratie et les libertés.
La gestion de l’aide publique au développement (APD) doit-elle être réformée?
Les aides publiques au développement, les fameuses APD, sont sans doute le levier le moins connu de l’influence française en Afrique. Cet argent offert aux gouvernements des pays pauvres est pourtant le plus important. «Il sert à encourager des politiques mais aussi de moyen de pression sur les autorités», souligne un diplomate. Seulement, ces APD ne cessent de baisser. D’une part, parce qu’une bonne partie de l’aide française passe désormais par l’Union européenne, où les bonnes volontés françaises se retrouvent diluées, et d’autre part en raison des restrictions budgétaires en France. Après avoir atteint 0,5 % du PIB en 2010, elles ne représentent plus que 0,37 %, environ 8,5 milliards d’euros. Convoitée, l’enveloppe, calculée très largement (elle inclut des réductions de dettes ou des aides indirectes), est contrôlée par le ministère des Affaires étrangères. L’Afrique en est de loin le premier bénéficiaire. «Le problème est que tout le monde veut l’utiliser, ce qui fait qu’au final il y a peu d’argent disponible pour les projets. Les sommes que nous investissons sont parfois ridicules, au point de devenir politiquement inutiles», grogne un diplomate. Les gestionnaires des APD assurent que les aides sont au contraire utilisées à bon escient et qu’elles contribuent toujours au rayonnement de la France en Afrique.
Par Par Tanguy Berthemet et Service Infographie
Source : Le Figaro.fr