La fin de la semaine climat à l’ONU a été marquée par le discours de Greta Thunberg. La jeune Suédoise qui a lancé le mouvement « Fridays for future », des grèves des élèves les vendredis pour alerter sur les effets du changement climatique, a fait des émules dans le monde entier. Au Sénégal, la militante est peu connue, et le mouvement peu suivi. Mais à l’initiative de la branche sénégalaise de « Fridays For Future », Yero Sarr, étudiant de 18 ans, ne baisse pas les bras pour alerter sur le climat. Même s’il fait face à des arguments religieux. Sa mobilisation lui a valu des menaces et une fracture de la mâchoire. Charlotte Idrac l’a rencontré à Thiès.
RFI : Qu’est-ce qui vous a poussé à fonder ici au Sénégal le mouvement « Fridays for future » ?
Yero Sarr : Depuis 2018, suite à Greta Thunberg qui a lancé un mouvement à travers le monde. Et moi, je me suis dit pourquoi pas au Sénégal aussi, vu qu’en Afrique, on est les plus touchés par ce phénomène. Je me suis dit : nous aussi, nous avons notre mot à dire concernant cette lutte. Au Sénégal, ces temps-ci, on constate une augmentation du niveau de la mer. On constate aussi des érosions côtières. On constate aussi une avancée du désert avec la sécheresse, un retard dans l’hivernage. Greta Thunberg, pour moi, c’est une figure montante parce que, certes, elle vient d’une famille privilégiée, mais n’empêche, elle est sortie du lot, a lancé la sonnette d’alerte.
Que pensez-vous des critiques qui mettent en avant sa jeunesse, son manque d’expérience, d’assise scientifique ?
Ce sont ces gens-là qui n’ont rien compris. Il y a des grandes personnes qui n’ont en fait pas compris la gravité de la situation. Ces gens-là, ce sont des gens qui sont jaloux de Greta. Ce sont ces gens-là qui ont échoué dans le passé. Une petite fille qui est en train de leur faire face, qui est en train de leur montrer qu’ils n’ont rien fait, cela fait mal.
Est-ce qu’elle met en lumière les problèmes climatiques spécifiques africains ?
Non. C’est un peu notre point de discorde. Je me le dis à chaque fois, parce qu’avec Greta, on est dans la même lutte, mais elle a un peu oublié l’Afrique. Il faudra d’abord parler des plus vulnérables. Voyez les migrants qui sont obligés de prendre la mer, parce qu’il y a la sécheresse. Pour moi, cette lutte-là doit être menée par un Africain parce que c’est nous qui sommes les plus lésés. L’Afrique n’est responsable que de 3,8% de gaz à effet de serre, mais elle souffre plus des effets néfastes du réchauffement climatique.
Quel écho a rencontré votre mouvement depuis le début ?
Depuis le début, on a rencontré certaines difficultés, parce qu’il y a certains qui disent que ces enfants-là, ce sont des enfants qui se croient plus intelligents que les autres. Il y a même des gens qui nous ont traités d’« athées », parce qu’ils nous disent que nous essayons de contrer la volonté divine. J’ai même eu des altercations avec certaines personnes qui me disaient que je ne croyais pas en Dieu, que tout ce qui est là, c’est la volonté divine.
Quels sont les arguments de ceux qui ont mis en avant la volonté divine ?
Ici, ils disent s’il ne pleut pas, c’est parce que sûrement que Dieu est fâché contre nous. Lorsque vous donnez une autre explication sur le phénomène du réchauffement climatique, ils disent : « Ces enfants-là sont tarés ». Il y a une personne qui m’a dit une fois : « Tu ne crois pas ». Ici, il y a des religieux qui ont compris le problème. Mais il y a certaines personnes qui n’ont pas compris.
Votre combat vous a valu des problèmes, des menaces même ?
Le problème écologiste est très sensible. Vous voyez ma mâchoire, parce que j’essayais d’attiser la conscience de quelqu’un concernant le réchauffement climatique. On discutait. Je lui ai dit qu’il fallait essayer de comprendre la science, le réchauffement climatique, que c’est nous qui avons causé cela. Il m’a dit : « Vous êtes vraiment athée » et en même temps, le coup est parti. Un coup dans la mâchoire.
Que pense votre famille de votre combat ?
Ma grand-mère me l’a encore dit : « Tu es têtu. Il faudrait arrêter cela. Tu risques de perdre la vie ». Et je lui ai dit, qu’au moins ma vie aura servi à quelque chose, quand j’aurai au minimum mené une lutte qui pourra sauver des générations futures.
Êtes-vous en lien avec d’autres activistes sur le continent africain ?
Chacun fait aller les choses par soi-même. C’est un peu difficile. Mais par Twitter, j’arrive à contacter certaines personnes : des Ougandais, des Ougandaises, il y a même une Angolaise. Ensemble, on essaie de trouver des solutions.
Comment expliquez-vous que la mobilisation soit difficile, y compris au sein de la jeunesse ici au Sénégal pour vos différentes manifestations ?
Le message passe. Les gens n’ont pas encore compris l’importance de la lutte. Les Sénégalais qui sont informés réellement du problème, on peut les contacter.
Cela passera forcément par les jeunes ?
C’est à la jeunesse de mener cette lutte, parce que les générations passées, pour moi, elles ont catégoriquement échoué. Pour la jeunesse, il suffit seulement de leur montrer et de dire : « Vous risquez demain de ne pas avoir cela, vous risquez demain de ne pas avoir vos espaces verts, vos forêts ». Mais on se dit que nous aussi, on va profiter de cette vie-là. Mais les grandes personnes qui sont à deux pas de la tombe, vous leur dites cela. Et ils disent : « Nous, on a déjà 70 ans, 80 ans ». Pour moi, l’essentiel est de faire passer mon message. Greta a commencé toute seule. Dès le moment que les autorités africaines sentent qu’il y a une jeunesse consciente africaine qui lutte contre le réchauffement climatique, moi, cela me va.
Par Charlotte Idrac